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démolir ; encore craignait-il, à voir l’espace qu’occupe ce tombeau, qu’on ne le reconnût pas tout, et que la sépulture ne fût elle-même pour la plupart ensevelie. »

J’aime mieux les réflexions plus naïves de Montaigne, sur l’aspect de la ville de Rome, telle qu’elle était de son temps. « C’est une ville toute cour et toute noblesse ; chacun prend sa part de l’oisiveté ecclésiastique ; il n’y a nulle rue marchande, ou moins qu’en une petite ville ; ce ne sont que palais ou jardin ; il ne se voit nulle rue de la Harpe, ou de Saint-Denis il me semble toujours être dans la rue de Seine ou sur le quai des Augustins, à Paris. »

Certains traits de cette description sont encore applicables aujourd’hui, comme l’oisiveté ecclésiastique, dont chacun prend part… Quant aux comparaisons avec Paris, il faut songer que les deux villes ont bien changé depuis Montaigne ; il ne dirait plus : « Les logis y sont communément meublés un peu mieux qu’à Paris, » ni que « la forme des rues en plusieurs choses, et notamment pour la multitude d’hommes, lui représentait plus Paris que nulle autre où il eût jamais été. »

Du reste, dans ses observations sur les mœurs et la physionomie de Rome, on retrouve fréquemment sa manière de donner, par l’expression, du relief et de la saillie à la justesse de la pensée.

« Rome est la plus commune ville du monde, et où l’étrangeté et la différence de nation se considère le moins, car c’est une ville rappiécée d’étrangers. » Peut-on mieux dire ?

Enfin cette grace qui ne l’abandonne jamais quand il se montre dans sa vie habituelle, avec son laisser-aller de tous les jours, quand il pose en négligé ; cette grace de Montaigne racontant confidentiellement sa journée à son lecteur, n’est-elle pas tout entière dans ce passage où il peint sa vie de Rome.

« Je n’ai rien si ennemi à ma santé, que l’ennui et l’oisiveté ; là j’avais toujours quelque occupation, sinon si plaisante que j’eusse pu le désirer, au moins suffisante à me désennuyer, comme à visiter les antiquités, les vignes qui sont des lieux de plaisir, de beauté singulière, et là où j’ai appris combien l’art se pouvait servir bien à point d’un lieu bossu, montueux et inégal ; car eux, ils en tirent des graces inimitables à nos lieux plains (planes), et se prévalent très artificiellement de cette diversité. Ce sont beautés