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teur de trois lances de lansknets. Intérieurement révolté de tout ce qu’il voyait, il quitta Rome dans une situation d’esprit bien différente de celle qu’il y avait apportée ; il s’agenouillait alors avec la dévotion des pélerins, maintenant il s’en retournait dans une disposition analogue à celle des frondeurs du moyen-âge, mais plus sérieuse que la leur. Cette Rome dont il avait été dupe, et dont il était désabusé, devait entendre parler de lui ; et il devait un jour, parmi ses joyeux propos de table, s’écrier jusqu’à trois fois : Je ne voudrais pas pour mille florins n’avoir pas été à Rome, car j’aurais toujours l’inquiétude d’avoir fait une injustice au pape.

Après Luther, Rabelais, cet autre adversaire du passé, Rabelais, l’héritier direct de toute la gausserie du moyen-âge, bouffon, enfroqué, qui raille son siècle en langage burlesque pour être compris, en langage allégorique pour ne pas être brûlé ; Rabelais, comme tous ses devanciers des fabliaux et des moralités, Rabelais en veut surtout à l’église ; on n’est jamais trahi que par les siens ; nul ne persiffle bien que ce qu’il connaît par expérience. Le chevaleresque Cervantes fera une parodie sublime de la chevalerie, et le curé de Meudon tracera la satire la plus sanglante du clergé ; mais pour qu’il remplît complètement sa mission, il fallait qu’il fût à Rome, et le sort l’y envoya. Il y trouva double pâture : pour sa verve moqueuse, la cour du pape ; pour son ardeur de savoir, les antiquités romaines ; car Rabelais n’avait pas seulement, de son siècle, l’audace de l’esprit et la licence du langage : il en avait encore l’érudition universelle, et ce goût délicat d’antiquité, qui imprègne son style d’atticisme, lors même que sa pensée est la plus grossière. Il est assez curieux que sa première publication ait été une édition de la Topographie de Rome de Marliani. Du reste, chez le joyeux auteur de Gargantua, on ne voit nulle trace d’une impression grave reçue en présence des débris qu’il avait étudiés en érudit, mais dont il ne pouvait sentir la sérieuse poésie. Tout ce que la tradition a conservé de ce voyage, ce sont des anecdotes ou des paroles bouffonnes, attribuées à Rabelais, et portant toutes ce caractère de raillerie licencieuse contre la cour de Rome, qu’on trouve surtout répandue dans les derniers livres de Pantagruel. C’est là qu’il faut chercher l’impression de la Rome papale sur cet esprit bizarre et hardi ; lui aussi, après tout le moyen-âge, se