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PORTRAITS DE ROME.

ser sous cet arc, monument triomphal de la prise de Jérusalem : j’éprouvais presque la même répugnance. Aux malédictions qu’ils adressent à l’empereur qui l’a élevé, je mêlais ma malédiction contre l’architecte qui l’a restauré. Profanation que tout cela ! ne laissera-t-on pas une fois les os de cette vieille Rome en paix dans son tombeau ?

Au xvie siècle, Rome se ressentit plus que jamais du mouvement général qui portait les esprits vers l’étude de l’antiquité. On se mit à décrire et à expliquer des monumens : on porta souvent dans ces recherches une profondeur qui, depuis, n’a guère été surpassée ; mais ce fut une époque de curiosité érudite, plus que d’enthousiasme poétique. Or, je ne fais pas ici l’histoire de l’archéologie romaine ; je n’ai point à mentionner les nombreux traités d’André de Volterre, de Fulvius, de Marlianus, de Panvinius, de Donatus ; je vais chercher dans les siècles qui suivent, comme je l’ai fait pour les précédens, les reflets variés de Rome dans les imaginations ; un intérêt nouveau et inverse, pour ainsi dire, vient se joindre à celui-ci à présent que les voyageurs et les documens abondent, je m’adresserai surtout aux hommes éminens en divers genres des trois derniers siècles, d’où il suit que Rome me sera aussi un miroir, où l’on verra se réfléchir tour à tour ces grandes individualités.

Je commencerai par l’homme du xvie siècle, par celui qui l’a fait ce qu’il a été, par Luther.

Quand Luther vint à Rome, le réformateur futur était un jeune moine obscur et fervent ; rien ne l’avertit, en mettant le pied dans la grande Babylone, que dix ans plus tard, il brûlerait la bulle du pape sur la place publique de Wittemberg. Son cœur ne ressentit que des émotions pieuses ; il adressa à Rome le salut de l’ancien hymne des pélerins, il s’écria : « Je te salue, ô Rome sainte, Rome vénérable par le sang et le tombeau des martyrs. » Mais après s’être prosterné sur le seuil, il se releva, il entra dans le temple… il n’y trouva pas le Dieu qu’il cherchait : la ville des saints et des martyrs était la ville des meurtriers et des prostituées. Les arts qui masquaient cette corruption, étaient sans puissance sur les sens grossiers, et scandalisaient l’esprit austère du moine germain ; à peine donna-t-il en passant un coup d’œil aux ruines païennes de Rome, entassées, selon son expression assez pittoresque, à la hau-