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tronçon de colonne faisant l’office de borne au coin d’une rue ; des échoppes nichées sous les gradins du théâtre de Marcellus, ou de petites maisons perchées sur les tombeaux de la voie Appienne. Ce sont ces accidens et ces contrastes qui donnent à Rome ce caractère à part, qui la distingue entre toutes les villes. Maintenant elle va le perdant chaque jour. On n’a que trop déblayé, fouillé, restauré. Il y a dix ans, j’ai vu encore le Corso avec des trottoirs inégaux, mal commodes, j’en conviens, mais pavés de débris. C’était une cannelure de colonne ou un bout d’inscription sur lesquels le regard aimait à tomber. C’était un fragment de rouge antique ou de porphyre faisant saillie sur le sol, et contre lequel, je conviens, pouvait heurter le pied du promeneur distrait ; mais quelle rapide et immense rêverie éveillait en lui, mieux que tous les discours, ce heurt contre le passé, cet achoppement contre les siècles ! Aujourd’hui on peut marcher en toute sécurité dans une belle rue à trottoirs bien égaux, comme dans la rue Vivienne. On a tout disposé pour l’écoulement des eaux avec une adresse qui fait honte à nos ingénieurs ; mais cette rue, si belle et si commode, ne dit rien. Il en est de même de beaucoup de déblaiemens et de toutes les restaurations. Ces choses enlèvent à Rome sa physionomie, et aux ruines leur poésie. Les antiquaires et les architectes peuvent avoir raison dans l’intérêt de leur science et de leur art ; mais quel effet, je le demande, produit la basilique Trajanne au fond de la cuvette où s’élèvent, entourées d’une belle grille de fer, ses colonnes, bien proprement redressées sur leurs bases ? Ceci du moins peut servir comme un modèle en carton pour montrer comment une basilique était faite ; mais qu’ont appris les paresseuses et inintelligentes fouilles du Forum ? L’énorme trou qu’on y a creusé a permis de voir la base de la colonne de Phocas et de lire une inscription, mais il a donné à ce lieu si poétique l’aspect d’une grande carrière. Quant aux restaurations, c’est bien pis. L’Anglais qui disait : Le Colysée sera une belle chose quand on l’aura terminé, doit être satisfait. Il semble que ce soit pour lui qu’on ait travaillé ; le Colysée est maintenant comme neuf ; on l’a épaulé, nettoyé, sarclé ; il n’y manque qu’un peu de ce badigeon blanc dont on a sali l’intérieur du mausolée d’Auguste. Que dire de la restitution de l’arc de Titus ? On sait que les juifs évitent de pas-