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PORTRAITS DE ROME.

terzine de Dante eût peint la désolation majestueuse de Rome comme on ne la peindra jamais ; mais cette terzine, il ne l’a point écrite, et quand il a parlé de Rome, ce n’a été que pour la flétrir ; quand il l’a personnifiée, il en a fait la grande prostituée que flagelle son brutal amant. Dante n’a éprouvé qu’un sentiment pour Rome : ce sentiment hostile et moqueur qui remplit nos fabliaux du moyen-âge, d’où il a passé dans Boccace et Chaucer. Dante aussi a des invectives railleuses et quelquefois presque bouffonnes contre l’église romaine. Alors il se rattache à toute cette lignée satirique dont je parlais tout à l’heure, car le burlesque n’était pas étranger à ce grave génie ; le burlesque se cachait çà et là dans les recoins de son œuvre sublime, comme se cache et grimace une figure grotesque ou monstrueuse dans les angles d’une cathédrale gothique. Dante est un représentant trop complet du moyen-âge, pour que le gros rire de cette époque ne retentisse pas jusque dans son ciel et parmi ses ineffables harmonies. Quand, par exemple, il interrompt son extatique contemplation du paradis pour adresser aux cardinaux ces moqueries plus énergiques que relevées : « Ils étendent leurs manteaux sur leurs palefrois, de sorte que deux bêtes marchent sous la même peau » ne semble-t-il pas se faire l’écho de ces conteurs malins, esprits forts d’un siècle dévot, enfans perdus de la satire, sentinelles avancées de la réforme, à qui Rome inspirait surtout de vives paroles, quand ils avaient été témoins de sa corruption ? Guyot de Provins, dans sa Bible satirique, où il attaque toutes les conditions en commençant par l’apostoile (le pape), a placé des vers contre Rome d’une grande vigueur. Quelques détails portent à croire que, dans sa vie vagabonde, le moine champenois avait visité Rome. On sait qu’il était allé jusqu’en Grèce. À l’emportement de ses injures, il semble ne pas parler par ouï-dire.


Rome nous suce et nous englot (engloutit).
Rome détruit et occit tot (tout).
Rome est le nid de la malice
D’où sordent (découlent) tous les mauvais vices.
C’est un vivier plein de vermine.