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PORTRAITS DE ROME.

mités fondent sur nous. Placez la chaudière vide sur les charbons ardens, dit le prophète… Rome brûle maintenant comme une cité vide. Mais que parlons-nous des hommes, quand nous voyons les monumens eux-mêmes écrasés par les ruines qui s’amoncellent chaque jour ? »

C’est là une peinture déjà bien lugubre de Rome ; et que de maux l’attendent encore !… que d’incendies, d’inondations, de tremblemens de terre, de troubles intérieurs ! que de causes de misère et de ruine ! Peu de villes ont autant souffert dans le moyen-âge ; et chacune des catastrophes qu’elle a traversées a contribué à lui donner ce caractère sévère et triste qui perce encore sous les embellissemens magnifiques dont on a voulu la décorer et la rajeunir. C’est ce qui, pour nous, contemplateurs oisifs, produit un charme mélancolique dont nous ne nous rendons pas toujours compte ; mais cette malheureuse ville a payé cher notre rêverie, et il a fallu, dans le passé, bien des désastres et bien des douleurs réelles pour amener les élégies sentimentales de notre temps.

Voici un fragment d’une élégie du viiie siècle. L’anonyme auteur de ces vers montre quelque humiliation de l’assujétissement de Rome à ses nouveaux maîtres, et quelque jalousie contre la jeune capitale grecque, qui a détrôné la vieille capitale latine. On sent se remuer obscurément dans cette ame un reste de ferment païen, et une rivalité envieuse de la Grèce. Enfin, une attaque assez énergique contre le gouvernement des successeurs de saint Pierre termine ce fragment.

« Rome, autrefois construite par de nobles patrons, maintenant soumise à des esclaves, tu te précipites tristement. Il y a long-temps que les souverains t’ont abandonnée ; ton nom et ta gloire ont passé aux Grecs ; il ne t’est resté personne de ceux qui te gouvernaient glorieusement. Tes ingénus habitent les champs pélasgiques ; une populace rassemblée des extrémités du monde, des esclaves d’esclaves, voilà aujourd’hui tes maîtres ! La florissante Constantinople s’appelle la nouvelle Rome, et toi, vieille Rome, tes mœurs s’écroulent comme tes murailles ; … ton empire a passé, mais tu as gardé ton orgueil. Le culte de l’or te domine trop. Tu as autrefois infligé aux saints, lorsqu’ils vivaient, un trépas cruel, et maintenant tu enseignes à trafiquer de leurs membres morts. »