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gymnase des lettres, la curie des honneurs, le point culminant du monde, la patrie de la liberté, l’unique ville de l’univers où seuls les Barbares et les esclaves sont étrangers. » Au temps de Sidoine, on faisait déjà les honneurs du soleil d’Italie aux dépens de celui de nos régions transalpines, et un certain Caudidianus de Césène félicite le buveur des eaux de la Saône de ce qu’il verra quelquefois le soleil : épigramme exagérée contre les brouillards de Lyon, qu’en bon Lyonnais je repousse comme Sidoine. Ces ultramontains ont toujours regardé nos beaux pays comme l’antre ténébreux des Cimmériens. Un Napolitain, qui avait été en Angleterre, ne prétendait-il pas qu’à Londres on tirait le canon toutes les fois que le soleil paraissait !

Avant de suivre plus loin la série des voyageurs qui affluent de toutes les parties du monde romain dans la ville de saint Pierre, je veux jeter ici épisodiquement un fragment de saga scandinave, qui montrera l’impression que produisait de loin l’ancien nom de Rome sur les imaginations de ces peuples restés en dehors de son influence. Ces enfans des régions inconnues, où ni sa langue et sa civilisation anciennes, ni sa foi nouvelle, n’avaient pénétré, ces pirates du viie et du viiie siècle, seconde irruption et seconde menace de la barbarie, se sentaient, comme les premiers Barbares, attirés vers Rome par quelque chose qui leur disait de l’aller renverser. C’était surtout la renommée de ses richesses qui les tentait à cette entreprise. Mais en même temps ils étaient découragés par l’idée de sa distance ; Rome se perdait pour eux dans un lointain fabuleux, comme une espèce d’Eldorado chimérique. C’est ce que me paraît exprimer assez vivement la bizarre aventure racontée dans la saga de Ragnar Lodbrok, aventure dont les héros sont les fils de ce roi de la mer, célèbre par le chant de mort qu’un scalde lui a prêté. La saga de Ragnar est une de celles qui peignent le plus fidèlement les sentimens, les mœurs et les idées des Normands à cette époque de leurs expéditions et de leurs conquêtes, qu’on peut appeler l’âge héroïque de la piraterie moderne.