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PORTRAITS DE ROME.

sentiment d’une existence éteinte, plus grande que l’existence présente, ce sentiment qui écrase notre petitesse sous le poids des ruines romaines, il était déjà dans l’ame de Cassiodore.

On ne trouve rien de pareil chez un de ses contemporains, le Lyonnais Sidoine Apollinaire, qui vint à Rome pour affaires vers la fin du ve siècle. Celui-ci était un bel esprit gaulois, un grand propriétaire ambitieux et intrigant, qui, après avoir eu pour gendre un empereur romain, fut à la fin évêque par hasard et saint par circonstance.

Sidoine, dans une lettre écrite de ce style précieux qu’il affectait, raconte à son ami un voyage à travers l’Italie ; il fait sur la route, étalage d’érudition classique, à peu près comme un scholar anglais de nos jours. À Crémone, il cite Virgile et rappelle ce voisinage de Mantoue déploré par le poète ; au bord de l’Éridan, car il lui donne son nom poétique, il sourit en voyant les peupliers de son rivage, ces sœurs de Phaéton, dont il avait chanté maintes fois à table les larmes fabuleuses. Les souvenirs de l’histoire ne sont pas moins présens au bel esprit gaulois que les traditions de la mythologie. Rimini lui rappelle César, et Fano Asdrubal. On s’attendrait qu’à Rome il va se livrer à toute la verve de sa mémoire : Rome est favorable aux citations pédantesques, et on ne les lui a pas épargnées ; mais Sidoine, de meilleure foi en cela que beaucoup d’autres voyageurs, avoue qu’en arrivant à Rome il pensait à tout autre chose qu’aux souvenirs ; il avait la fièvre, il était dévoré d’une soif ardente, et quand Rome, comme il le dit, s’étala devant son regard, il ne pouvait songer qu’à l’eau de ses puits et de ses fontaines ; « il aurait bu non-seulement les thermes, mais les naumachies. » Le fleuve historique, le Tibre, ne lui inspira qu’une réflexion ; c’est que l’eau en était bien trouble et pourrait l’incommoder. Cependant, à peine se fut-il prosterné sur les tombeaux des apôtres, avant même de pénétrer dans la ville, qu’il fut soudain guéri ; guérison merveilleuse, qu’il nous sera permis d’attribuer au repos d’abord, puis à l’effet que put produire sur l’imagination de Sidoine la pensée qu’il était à Rome, pensée qui, les premiers jours, ne laisse froid presque aucun voyageur. Bientôt, du moins, l’enthousiasme l’eut gagné, car, dans une autre lettre, il presse un ami de venir à Rome, qu’il appelle « le domicile des lois, le