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comme les derniers des Romains, devaient en effet conserver pour Rome un attachement pieux et filial ; un d’entre eux, dont la fin fut plus paisible, Cassiodore, sorti de son cloître de Ravenne pour être consul et secrétaire d’un roi goth, et pour aller ensuite terminer ses jours dans un couvent de l’Apulie ; Cassiodore, bien que son christianisme ne soit pas douteux comme celui de Boece, dans les lettres qu’il écrivait au nom de Théodoric, se montre à nous transporté d’une admiration un peu profane en présence des merveilles de la sculpture et de l’architecture païennes que, de son temps, Rome possédait encore.

Parlant d’un architecte que Théodoric chargeait d’entretenir et de réparer les monumens romains, Cassiodore s’écrie[1] : « Il verra certainement des choses qui surpassent tout ce qu’il a lu, et des merveilles au-delà même de ses pensées. » Puis, oubliant au nom de qui il écrit, le secrétaire ampoulé de Théodoric déclame sur les statues et les monumens, mais déclame en homme pénétré d’une admiration véritable ; il montre quelque sentiment de l’art en dépeignant « les veines exprimées dans l’airain, les saillies des muscles, les nerfs comme tendus par la marche ; l’homme ainsi moulé en diverses formes, et qui paraît plutôt produit par une sorte de génération. » Puis, il vante les statues équestres qui semblent courir, les colonnes élancées comme d’immenses roseaux. Il rappelle les sept merveilles du monde : « Rome tout entière, dit-il, est une merveille… » Mais c’est déjà la Rome du passé ; déjà l’étendue de ses murailles est trop vaste pour le peuple qu’elle contient ; déjà Cassiodore mesure par cette grandeur, désormais inutile, l’immensité de la foule qui la remplissait… « L’ampleur des murailles de Rome, dit-il, la vaste enceinte des théâtres, la grandeur merveilleuse des thermes, attestent quelle était la multitude des citoyens. » Il compare ingénieusement les édifices d’une cité aux vêtemens qui donnent la mesure du corps, et de ces vêtemens vides il conclut à un corps de géant. N’est-ce pas ce que fait, encore aujourd’hui le voyageur errant parmi les grands débris des thermes de Caracalla, ou égaré dans ces masses de décombres qui, en s’accumulant, ont élevé au-dessus du Palatin une autre montagne de ruines. Ce

  1. Livre vi, lettre 15.