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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

et des prières indiquées dans la liturgie. Ce système de devoirs religieux et d’instruction produisit tout le bon effet que j’en attendais ; nos hommes paraissaient réellement sentir qu’ils ne formaient tous qu’une même famille, se montrant pleins d’égards les uns envers les autres, et apportant dans toute leur conduite un ordre et une régularité qu’on est loin de rencontrer toujours à bord d’un navire. »

Plus loin le capitaine Ross, revenant encore sur ce sujet après deux mois d’expérience, ajoute : « Le système d’économie et de bien-être que nous avions suivi était aussi parfait qu’on pouvait le désirer, et nos hommes se montraient complètement satisfaits de leur régime, d’eux-mêmes, et de leurs officiers. Leur éducation avait fait des progrès surprenans, et il était facile d’apercevoir en eux une amélioration sensible sous le rapport religieux et moral ; ils avaient commencé, entre autres, à perdre une habitude d’autant plus difficile à vaincre qu’elle était invétérée, celle de jurer. »

Les mois de novembre et de décembre se passèrent ainsi sans aucun événement remarquable. Le froid, jusque-là, avait été assez supportable, le thermomètre de Fahrenheit n’étant descendu qu’accidentellement à –37°, et se maintenant en général à –16°, 22°. Nos prisonniers sortaient presque chaque jour pour prendre de l’exercice à terre ou chasser ; mais le gibier était très peu abondant ; il avait émigré dans le sud pour y chercher un climat plus doux, ou se tenait caché. Un seul ours blanc se présenta et fut mis à mort. Le 25 novembre, le soleil disparut sous l’horizon, astronomiquement parlant, car la réfraction horizontale, qui est très grande dans ces régions, rendit son limbe supérieur visible encore pendant quelques jours. Quand l’astre se fut évanoui tout-à-fait, la nuit commença son règne de plusieurs mois, mais une nuit des régions polaires, illuminée par les aurores boréales, l’éclat de la neige, et plutôt semblable à un demi-jour qu’aux nuits obscures de nos climats quand la lune est absente.

Rien n’annonçait qu’il y eût des êtres humains dans le voisinage, lorsque dans les premiers jours de janvier, la sentinelle signala l’approche d’une troupe d’Esquimaux.


Th. Lacordaire.


(La seconde partie à la prochaine livraison[1].)

  1. Ayant eu, la première, communication de l’important voyage du capitaine Ross, la Revue des Deux Mondes donnera la suite du récit du hardi navigateur, et nous annonçons en même temps que M. Félix Bonnaire, éditeur, rue des Beaux-Arts, en publiera prochainement une édition complète, avec la carte et les planches de l’édition originale.