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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

gouffres immenses où la mer se précipite en tourbillonnant. Qu’on ajoute à cela que les champs de glaces moins élevés, poussés par le vent et les courans contre ces montagnes ou les rochers, se dressent au-dessus des flots jusqu’à ce qu’ils retombent en arrière et se brisent en mille pièces, comme pour ajouter encore à cette scène inexprimable de bruit et de mouvement.

« Il n’est guère plus facile de se peindre notre impuissance absolue en pareille circonstance. Il n’est pas un seul instant où l’on puisse prévoir ce qui doit arriver dans le moment qui va suivre ; il n’en est pas un seul qui ne puisse être le dernier, et cependant l’instant d’après peut apporter le salut et la sécurité. C’est une position aussi étrange que pleine de saisissement, et si elle est terrible, elle ne donne, d’un autre côté, pas le temps de ressentir la crainte, tant les événemens sont inattendus et les transitions rapides. Si le fracas et le désordre, dans tout ce qu’on aperçoit, causent des vertiges ; si l’attention se trouble en voulant s’attacher à quelque objet au milieu d’une telle confusion, il faut en même temps qu’elle soit sans cesse éveillée, afin de saisir le seul moment de salut qui peut se présenter. Cependant, avec tout cela, et c’est la partie la plus pénible du rôle, il n’y a rien à faire, il ne faut tenter aucun effort ; et quoique la vue seule du mouvement qui l’environne suffise pour engager le marin à s’agiter, sans parler de l’instinct qui nous porte à repousser le péril, il doit prendre patience, comme s’il était simple spectateur, et attendre, du mieux qu’il peut, sa destinée, quelle qu’elle puisse être.

« Telle est la glace ; mais elle a en même temps ses compensations aux fréquens assauts qu’elle livre aux navigateurs, et aux obstacles qu’elle crée sur leurs pas. C’est un mal qui est loin d’être sans mélange ; et, tout bien calculé, je ne me tromperais pas en disant qu’elle a été plus souvent notre sauveur que notre ennemi. Nous ne pouvions, il est vrai, commander aux montagnes de glaces de nous prendre à la remorque, de s’arranger autour de nous de manière à nous former un bassin tranquille au milieu d’une mer en fureur, ni, quand nous avions besoin d’un abri, de venir à notre aide et de nous entourer de remparts de cristal ; mais elles recevaient les ordres de celui qui commande à toute la création, et elles obéissaient. »

Les mois d’août et de septembre se passèrent dans ces luttes continuelles contre les courans et les glaces dont le capitaine Ross vient de faire un tableau si animé. Jusqu’au 15 de ce dernier mois, l’air avait été assez doux ; la pluie tombait fréquemment, mais l’expédition n’avait point encore vu de neige. Ce jour-là elle parut pour la première fois ; des orages furieux en couvrirent les rivages dans toutes les directions ; le thermomètre baissa