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fécondans ? Ce que l’Angleterre a conquis, la France à son tour l’acquerra ; on ne fait pas long-temps violence à la nature des choses : quand l’esprit de progrès est dans les masses, il faut bien que les gouvernemens s’y conforment ; l’éternelle voix de la vérité ne peut être étouffée. Qui sait ? quelques années encore, et la réforme, qu’une chambre médiocre repousse, sera adoptée avec enthousiasme par une majorité plus intelligente, plus en rapport avec son époque.

Les projets de lois présentés par le gouvernement rentrent presque tous dans l’ordre financier. La session s’est ouverte par le monopole des tabacs. Ici se présentait une des hautes questions d’économie politique. Dans les sociétés modernes, le monopole peut-il être légitimement un impôt ? Est-ce qu’il appartient à un gouvernement, quel qu’il soit, de s’emparer d’une industrie et de la prohiber à tous les citoyens ? La question ainsi posée était facile à résoudre ; le monopole du tabac avait fait le sujet des plaintes de l’opposition sous la restauration pendant quinze ans ; M. Humann, député, avait été le plus implacable adversaire du monopole, et M. Humann, ministre, est venu en demander la continuation. Le ministre, il est vrai, a dit que le député s’était trompé ; le ministre a trop de modestie, et l’expression qu’il emploie est impropre : il a voulu dire seulement que le député et le ministre ont eu des intérêts divers aux deux époques, ce qui explique tout-à-fait le changement d’opinion. Ces apostasies de doctrines ne se voient point en Angleterre : l’homme d’une idée la garde au pouvoir comme dans l’opposition ; et ce qui a fait le plus de mal aux tories, dans la dernière crise, c’est précisément cette contradiction dans les antécédens, qui brisait toute la puissance morale de leur parole. Néanmoins le monopole des tabacs a été voté pour un terme qui s’étend au-delà même des limites posées par les lois de la restauration.

Ensuite sont venus les crédits supplémentaires. En bonne comptabilité, il ne devrait y avoir qu’un budget régulier ; le gouvernement doit préparer les ressources, et prévoir les dépenses ; les crédits supplémentaires devraient se limiter à des cas rares, nécessités par des circonstances imprévues. Il n’en est rien pourtant, et chaque année ces crédits se multiplient et deviennent de véritables plaies financières pour l’état. Quelquefois les ministres se font autoriser par simple ordonnance royale, soumise ensuite à la ratification des chambres ; quelquefois ils demandent l’autorisation préalable. Il se passe, dans la plupart de ces circonstances, un petit manége qu’on ne saurait trop dévoiler. Les ministres, le plus souvent, pour ne pas effrayer leur majorité, demandent des crédits modérés ; ces crédits, ils les outrepassent ; et que font-ils ensuite ? Ils viennent demander le complément à la session suivante. L’opposition se plaint ; mais que lui