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malheur pour le ministère qu’il n’y ait pas dans la chambre des orateurs qui le dispensent de venir lui-même défendre un à un tous ses actes. Au parlement anglais, même à l’époque de Pitt, le ministère avait des amis qui, non-seulement soutenaient le vote dans l’instant décisif où la division s’opérait, mais encore des défenseurs qui avouaient hautement le système du cabinet et le soutenaient. Quel était le rôle de Dundas auprès de M. Pitt ? de Sheridan, lors du ministère de coalition ? Chez nous, au contraire, il y a un centre bruyant et peu d’orateurs ; on prête appui par des murmures éclatans, par des rires d’une grande indécence parlementaire ; on est orateur par le bruit ; mais le ministère n’a aucun défenseur avoué, homme de talent qui s’immole sur la brèche pour les doctrines qui triomphent dans le cabinet. C’est un mal pour les ministres qu’une telle situation appelle trop souvent à la tribune et qui exposent là leur vie parlementaire.

À ses côtés, le ministère trouve toujours le tiers-parti. Nous avons dit les causes qui avaient annihilé cette coterie. Maintenant elle compte à peine cinquante membres, séparés en quatre nuances ; car il est évident, pour quiconque a suivi les débats de la chambre, que le parti Dupin se sépare de la nuance Ganneron, que M. Ganneron est loin de M. Bérenger, et que M. Bérenger ne s’entend pas avec M. Jacqueminot. De ces quatre fractions se détachent, dans les votes décisifs, un bon nombre de boules qui passent au ministère ; car on a la prétention là de ne pas faire de l’opposition systématique : non-seulement on est dynastique, c’est-à-dire pour la royauté que tout parti constitutionnel doit admettre, mais encore pour certaines mesures du ministère, pour son esprit et sa tendance ; en un mot, on veut la chose sans admettre les moyens. Le tiers-parti appelle une forte répression, l’unité gouvernementale, l’ordre public, la paix au dehors, et avec cela il proclame tout ce qui n’est ni l’ordre au dedans, ni la paix à l’extérieur ; il a un faible pour la propagande, un instinct pour la révolution ; il n’a point de systèmes, mais des peurs. Ce n’est pas qu’il ne compte dans son sein des hommes véritablement distingués : qui peut contester à M. Dupin une verve remarquable, une érudition vaste, une puissance de moquerie et de sarcasme éminente ? Qui peut contester à M. Passy un esprit d’ordre et de méthode, une aptitude spéciale pour les questions de finances et de budget ; à M. Bérenger une connaissance profonde de notre législation, une haute conscience des droits de la société et des libertés individuelles, dans les questions criminelles surtout ? Certes, M. Ganneron est un homme probe également, le colonel Jacqueminot un brave et excellent officier ; mais composez un ministère avec ces élémens, demandez-lui un système, un programme