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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

n’amenant ou ne prévenant qu’un très petit nombre d’amis. Elle se promenait chaque soir et une partie de la nuit à la clarté de la lune, n’osant sortir de jour. Mais il lui prit, durant cette aventureuse incursion, une envie violente qui la caractérise, un caprice, par souvenir, de voir une grande dame, ancienne amie de son père, Mme de Tessé, celle même qui disait : « Si j’étais reine, j’ordonnerais à Mme de Staël de me parler toujours. » Cette dame, pourtant, alors fort âgée, s’effraya à l’idée de recevoir Mme de Staël proscrite, et il résulta de la démarche une série d’indiscrétions qui firent que Fouché fut averti. Il fallut vite partir, et ne plus se risquer désormais à ces promenades, au clair de la lune, le long des quais, du ruisseau favori, et autour de cette place Louis xv si familière à Delphine. Bientôt la publication de Corinne vint confirmer et redoubler pour Mme de Staël la rigueur du premier exil ; nous la trouvons rejetée à Coppet, où, après tout, elle nous apparaît dans sa vraie dignité, au centre de sa cour majestueuse.

Ce que le séjour de Ferney fut pour Voltaire, celui de Coppet l’est pour Mme de Staël, mais avec bien plus d’auréole poétique, ce nous semble, et de grandiose existence. Tous deux ils règnent dans leur exil. Mais l’un dans sa plaine, du fond de son château assez mince, en vue de ses jardins taillés et peu ombragés, détruit et raille. L’influence de Coppet (Tancrède à part et Aménaïde qu’on y adore) est toute contraire ; c’est celle de Jean-Jacques continuée, ennoblie, qui s’installe et règne tout près des mêmes lieux que sa rivale. Coppet contrebalance Ferney et le détrône à demi. Nous tous du jeune siècle, nous jugeons Ferney en descendant de Coppet. La beauté du site, les bois qui l’ombragent, le sexe du poète, l’enthousiasme qu’on y respire, l’élégance de la compagnie, la gloire des noms, les promenades du lac, les matinées du parc, les mystères et les orages inévitables qu’on suppose, tout contribue à enchanter pour nous l’image de ce séjour. Coppet, c’est l’Élysée que tous les cœurs, enfans de Jean-Jacques, eussent naturellement prêté à la châtelaine de leurs rêves. Mme de Genlis, revenue de ses premiers torts et les voulant réparer, a essayé de peindre, dans une nouvelle intitulée Athénais ou le château de Coppet en 1807[1],

  1. Imprimerie de Jules Didot, 1832.