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ces, même philosophiques et naturelles, sérieusement adoptées, n’eussent pas été déjà, au prix de leur foi véritable, un gain moral et religieux immense. Quant à l’accusation faite à Delphine d’attenter au mariage, il m’a semblé, au contraire, que l’idée qui peut-être ressort le plus de ce livre, est le désir du bonheur dans le mariage, un sentiment profond de l’impossibilité d’être heureux ailleurs, un aveu des obstacles contre lesquels le plus souvent on se brise, malgré toutes les vertus et toutes les tendresses, dans le désaccord social des destinées. Cette idée du bonheur dans le mariage a toujours poursuivi Mme de Staël, comme les situations romanesques dont ils sont privés poursuivent et agitent d’autres cœurs. Dans l’Influence des Passions elle parle avec attendrissement, au chapitre de l’Amour, des deux vieux époux, encore amans, qu’elle avait rencontrés en Angleterre. Dans le livre de la Littérature, avec quelle complaisance elle a cité les beaux vers qui terminent le premier chant de Thompson sur le printemps, et qui célèbrent cette parfaite union, pour elle idéale et trop absente ! En un chapitre de l’Allemagne, elle y reviendra d’un ton de moralité et comme de reconnaissance qui pénètre, lorsque surtout on rapproche cette page des circonstances secrètes qui l’inspirent. Dans Delphine, le tableau heureux de la famille Belmont ne représente pas autre chose que cet éden domestique toujours envié par elle, du sein des orages. M. Necker, en son Cours de Morale religieuse, aime aussi à traiter ce sujet du bonheur garanti par la sainteté des liens. Mme de Staël, en revenant si fréquemment sur ce rêve, n’avait pas à en aller chercher bien loin des images. Son ame, en sortant d’elle-même, avait tout auprès de quoi se poser ; à défaut de son propre bonheur, elle se rappelait celui de sa mère, elle projetait et pressentait celui de sa fille.

Qu’après tout, et nonobstant toute justification, Delphine soit une lecture troublante, il faut bien le reconnaître ; mais ce trouble, dont nous ne conseillerions pas l’épreuve à la parfaite innocence, n’est souvent qu’un réveil salutaire du sentiment, chez les ames que les soins réels et le désenchantement aride tendraient à envahir. Heureux trouble, qui nous tente de renaître aux émotions aimantes et à la faculté de dévouement de la jeunesse !

En retour des bons procédés de la Décade et de l’aide qu’elle