Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/431

Cette page a été validée par deux contributeurs.
425
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

insérés par Ginguené dans la Décade, le premier commence en ces termes : « Aucun ouvrage n’a depuis long-temps occupé le public autant que ce roman ; c’est un genre de succès qu’il n’est pas indifférent d’obtenir, mais qu’on est rarement dispensé d’expier. Plusieurs journalistes, dont on connaît d’avance l’opinion sur un livre d’après le seul nom de son auteur, se sont déchaînés contre Delphine ou plutôt contre Mme de Staël, comme des gens qui n’ont rien à ménager… Ils ont attaqué une femme, l’un avec une brutalité de collége (Ginguené paraît avoir imputé à Geoffroy, qu’il avait sur le cœur, un des articles hostiles que nous avons mentionnés plus haut), l’autre avec le persifflage d’un bel esprit de mauvais lieu, tous avec la jactance d’une lâche sécurité. » Après de nombreuses citations relevées d’éloges, en venant à l’endroit des locutions forcées et des expressions néologiques, Ginguené remarquait judicieusement : « Ce ne sont point, à proprement parler, des fautes de langue, mais des vices de langage dont une femme d’autant d’esprit et de vrai talent n’aurait, si elle le voulait une fois, aucune peine à revenir. » Ce que Ginguené ne disait pas et ce qu’il aurait fallu opposer en réponse aux banales accusations d’impiété et d’immoralité, c’est la haute éloquence des idées religieuses qu’on trouve exprimées en maint passage de Delphine, comme par émulation avec les théories catholiques du Génie du Christianisme : ainsi, la lettre de Delphine à Léonce (xiv, 3e partie), où elle le convie aux croyances de la religion naturelle et à une espérance commune d’immortalité ; ainsi encore, quand M. de Lébensei (xiv, 3e partie), écrivant à Delphine, combat les idées chrétiennes de perfectionnement par la douleur, et invoque la loi de la nature comme menant l’homme au bien par l’attrait et le penchant le plus doux, Delphine ne s’avoue pas convaincue, elle ne croit pas que le système bienfaisant qu’on lui expose réponde à toutes les combinaisons réelles de la destinée, et que le bonheur et la vertu suivent un seul et même sentier sur cette terre. Ce n’est pas, sans doute, le catholicisme de Thérèse d’Ervins qui triomphe dans Delphine ; la voie y est déiste, protestante, d’un protestantisme unitairien qui ne diffère guère de celui du Vicaire savoyard : mais parmi les pharisiens qui criaient alors à l’impiété, j’ai peine à en découvrir quelques-uns pour qui ces croyan-