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mort comme un grenadier, et de la morale comme un sophiste. » Fontanes, qui se trouvait désigné à cause de l’initiale, écrivit au Journal de Paris pour désavouer l’article, qui était effectivement de l’auteur de la Dot de Suzette et de Frédéric. N’avons-nous pas vu de nos jours un déchaînement semblable, et presque dans les mêmes termes, contre une femme la plus éminente en littérature qui se soit rencontrée depuis l’auteur de Delphine ? Dans les Débats du 12 février 1803, Gaston rendit compte d’une brochure in-8o de 800 pages (serait-ce une plaisanterie du feuilletoniste ?), intitulée Delphine convertie ; il en donne des extraits ; on y faisait dire à Mme de Staël : « Je viens d’entrer dans la carrière que plusieurs femmes ont parcourue avec succès, mais je n’ai pris pour modèles ni la Princesse de Clèves, ni Caroline, ni Adèle de Senanges. Cette brochure calomnieuse, si toutefois elle existe, où l’envie s’est gonflée jusqu’au gros livre, paraît n’être qu’un ramas de phrases disparates, pillées dans Mme de Staël, cousues ensemble et dénaturées. Mme de Genlis, revenue d’Altona pour nous prêcher la morale, faisait insérer dans la Bibliothèque des Romans une longue nouvelle, où, à l’aide d’explications tronquées et d’interprétations artificieuses, elle représentait Mme de Staël comme l’apologiste du suicide. Mme de Staël qui, de son côté, citait avec éloge Mademoiselle de Clermont, disait pour toute vengeance : « Elle m’attaque, et moi je la loue, c’est ainsi que nos correspondances se croisent. Mme de Genlis reprocha plus tard dans ses Mémoires à Mme de Staël d’être ignorante, de même qu’elle lui avait reproché d’être immorale. Mais grace lui soit faite ! elle s’est repentie à la fin dans une bienveillante nouvelle, intitulée Athénaïs, dont nous reparlerons : une influence amie, et coutumière de tels doux miracles, l’avait touchée.

Nous demandons pardon, à propos d’une œuvre émouvante comme Delphine, et sans nous confiner de préférence aux scènes mélancoliques de Bellerive ou du jardin des Champs-Élysées, de rappeler ces aigres clameurs d’alors, et de soulever tant de vieille poussière. Mais il est bon, quand on veut suivre et retracer une marche triomphale, de subir aussi la foule, de montrer le char entouré et salué comme il était.

La violence appelle la répression ; les amis de Mme de Staël s’indignèrent, et elle fut énergiquement défendue. Des deux articles