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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

qu’il doit être conduit, car nous avons le moyen de réprimer, avec la sanction royale, tous les crimes commis chez nous[1]. »

Ce langage, ferme et digne en apparence, couvrait une réponse évasive, et les régens de Neustrie avaient moins de souci de l’indépendance du royaume que de ménagemens pour Fredegonde. Les ambassadeurs ne s’y méprirent pas, et l’un d’eux répliqua vivement : « Sachez que si la personne qui a commis le crime n’est pas découverte et amenée au grand jour, notre roi viendra avec une armée ravager tout ce pays par le glaive et par l’incendie ; car il est manifeste que celle qui a fait mourir le Frank par des maléfices est la même qui a tué l’évêque par l’épée[2]. » Les Neustriens s’émurent peu d’une pareille menace ; ils savaient que le roi Gonthramn manquait toujours de volonté lorsque venait le moment d’agir. Ils renouvelèrent leurs précédentes réponses, et les évêques mirent fin à cette inutile entrevue en protestant d’avance contre la réintégration de Mélantius dans le siége épiscopal de Rouen[3]. Mais à peine étaient-ils de retour auprès du roi Gonthramn, que Mélantius fut rétabli, grace à la protection de la reine et à l’ascendant qu’elle venait de reprendre par l’intrigue et par la terreur. Cet homme, digne créature de Fredegonde, alla chaque jour, pendant plus de quinze ans, s’asseoir et prier à la même place où le sang de Prætextatus avait coulé[4].

Fière de tant de succès, la reine couronna son œuvre par un dernier trait d’insolence, signe du plus incroyable mépris pour

  1. Quod cùm sacerdotes locuti fuissent, responderunt seniores : « Nobis prorsùs haec facta displicent, et magìs ac magìs ea cupimus ulcisci. Nam non potest fieri ut si quis inter nos culpabilis invenitur, in conspectum regis vestri deducatur… (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 327)
  2. Tunc sacerdotes dixerunt : « Noveritis enim, quia si persona quae haec perpetravit in medio posita non fuerit, rex noster cum exercitu hùc veniens, omnem hanc regionem gladio incendioque vastabit ; quia manifestum est hanc interfuisse gladio episcopum, quae maleficiis Francum jussit interfici. (Ibid.)
  3. Et his dictis discesserunt, nullum rationabile responsum accipientes ; obtestantes omninò ut nunquam in ecclesiâ illâ Melantius, qui priùs in loco Praetextati subrogatus fuerat, sacerdotis fungeretur officio. (Ibid. pag. 328.)
  4. Fredegundis verò Melantium, quem priùs episcopum posuerat, ecclesiae instituit. (Ibid. pag. 331.)