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À ce discours, dont la netteté ne laissait voir d’autre perspective que celle d’un danger sans issue, quelques signes de trouble et d’hésitation parurent sur le visage des deux jeunes clercs. Fredegonde s’en aperçut, et aussitôt elle fit apporter une boisson composée avec tout l’art possible, pour exalter les esprits en flattant le goût. Les jeunes gens vidèrent chacun une coupe de ce breuvage, dont l’effet ne tarda pas à se montrer dans leurs regards et dans leur contenance[1]. Satisfaite de l’épreuve, la reine reprit alors : « Quand le jour sera venu d’exécuter mes ordres, je veux qu’avant de vous mettre à l’œuvre, vous buviez un coup de cette liqueur, afin d’être fermes et dispos. » Les deux clercs partirent pour l’Austrasie, munis de leurs couteaux empoisonnés et d’un flacon renfermant le précieux cordial ; mais on faisait bonne garde autour du jeune roi et de sa mère. À leur arrivée, les émissaires de Fredegonde furent saisis comme suspects, et cette fois, on ne leur fit aucune grâce ; tous deux périrent dans les supplices[2].

Ces choses se passèrent dans les derniers mois de l’année 585 ; vers le commencement de l’année suivante, il arriva que Fredegonde, ennuyée peut-être de sa solitude, quitta le Val de Reuil, pour aller passer quelques jours à Rouen. Elle se trouva ainsi plus d’une fois dans les réunions et les cérémonies publiques en présence de l’évêque, dont le retour était une sorte de démenti donné à sa puissance. D’après ce qu’elle savait par expérience du caractère de cet homme, elle s’attendait au moins à lui voir devant elle une contenance humble et mal assurée, des manières

    hos gladios, et quantociùs pergite ad Childebertem regem, adsimulantes vos esse mendicos… ut tandem Brunichildis, quae ab illo adrogantiam sumit, eo cadente conruat, mihique subdatur. Quòd si tanta est custodia circà puerum, ut accedere nequeatis, vel ipsam interimite inimicant… » (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 324.)

  1. Cùmque haec mulier loqueretur, clerici tremere coeperunt, difficile putantes haec jussa posse complere. At illa dubios cernens, medificatos potione direxit quò ire praecepit ; statimque robur animorum aderevit… (Ibid.)
  2. Nihilominùs vasculum hâc potione repletum ipsos levare jubet, dicens : « In die illâ cùm haec que praecipio facitis, manè priusquàm opus incipiatis, hunc potum sumite… » (Ibid.)