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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

étaient calculés pour flatter l’amour-propre de l’évêque ; car les saints personnages de ce temps, et en général ceux qui aspiraient à la perfection chrétienne, s’abstenaient de la grosse viande comme trop substantielle, et ne vivaient que de légumes, de poissons et de volatilles. Grégoire ne fut point dupe de ce nouvel artifice, et faisant de la tête un signe de refus, il répondit : « Notre nourriture doit être de faire la volonté de Dieu, et non de prendre plaisir à une chère délicate. Toi qui taxes les autres d’injustice, commence par promettre que tu ne laisseras pas de côté la loi et les canons, et nous croirons que c’est la justice que tu poursuis[1]. » Le roi, qui tenait à ne point rompre avec l’évêque de Tours, et qui au besoin ne se faisait pas faute de sermens, sauf à trouver plus tard quelque moyen de les éluder, leva la main et jura, par le Dieu tout puissant, de ne transgresser en aucune manière la loi et les canons. Alors Grégoire prit du pain et but un peu de vin, espèce de communion de l’hospitalité, à laquelle on ne pouvait se refuser sous le toit d’autrui, sans pécher d’une manière grave contre les égards et la politesse. Réconcilié en apparence avec le roi, il le quitta pour se rendre à son logement dans la basilique de Saint-Julien, voisine du palais impérial[2].

La nuit suivante, pendant que l’évêque de Tours, après avoir chanté l’office des nocturnes, reposait dans son appartement, il entendit frapper à coups redoublés à la porte de la maison. Étonné de ce bruit, il fit descendre un de ses serviteurs, qui lui rapporta que des messagers de la reine Fredegonde demandaient à le voir[3]. Ces gens, ayant été introduits, saluèrent Grégoire au nom de la reine, et lui dirent qu’ils venaient le prier de ne point se montrer contraire à ce qu’elle désirait, dans l’affaire soumise au concile. Ils

  1. Ad haec ego, cognoscens adulationes ejus, dixi : « Noster cibus esse debet facere voluntatem Dei, et non his deliciis delectari… » (Greg. Turon. Hist. lib. v, pag. 244.)
  2. Ille verò, porrectà dextrà, juravit per omnipotentem Deum, quòd ea quae lex et canones edocebant, nullo praetermitteret pacto. Post haec, accepto pane, hausto etiam vino, discessi. (Ibid.)
  3. Ostium mansionis nostrae gravibus audio cogi verberibus : missoque puero, nuntios Fredegundis reginae adstare cognosco. (Ibid.)