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pour l’envelopper ; Angelo part satisfait de sa vengeance, qu’il croit complète.

Transportée chez Tisbe, Catarina, qui s’était résolue au sacrifice de sa vie, repose sans connaissance sur le lit de la courtisane. Rodolfo, en apprenant le supplice de la femme qu’il aime, accourt chez Tisbe. Il l’interroge d’une voix haletante et furieuse. Il lui redemande la vie qu’elle a tranchée. Tisbe profère des paroles de haine et de colère contre sa rivale. Rodolfo ne doute plus : il poignarde Tisbe, et à peine a-t-elle rendu le dernier soupir que tout à coup Catarina se réveille et vient se jeter dans les bras de Rodolfo.

N’est-ce pas là, je le demande, un mélodrame de boulevard ? Comptons sur nos doigts une clé, un crucifix, une fiole de poison, une subite résurrection. N’est-ce pas l’arsenal entier du répertoire qui a fait la renommée de M. Marty ? Un tyran, une courtisane, un sbire, rien n’y manque. Omodei, après avoir allumé l’incendie, meurt assassiné au milieu de la pièce. Angelo ne reparaît plus dès que sa femme est endormie du sommeil qu’il espère éternel. C’est tout bonnement le conte de Barbe-Bleue.

D’Hernani à Angelo, la route parcourue est incalculable. Comment des cimes de la poésie lyrique M. Hugo est-il descendu jusqu’aux tréteaux du mélodrame ? Comment, après avoir proclamé à son de trompe l’avènement de l’histoire au théâtre, en est-il venu à créer pour la curiosité oisive des personnages qui ne sont d’aucun temps ni d’aucun pays ? Est-il bien vrai, comme le répètent ses amis, qu’il viole délibérément l’histoire, ou plutôt qu’il la méconnaît constamment, pour suspendre l’intérêt, et pour atteindre les dénouemens imprévus ? Mais si cet aveu est sincère, c’est un aveu d’impuissance et de puérilité. L’art dramatique aux mains de M. Hugo n’est plus qu’un escamotage de place publique. Entre les portes innombrables de ses planches peintes, les acteurs jouent le même rôle que les muscades sous les gobelets.

Eschyle, Sophocle et Euripide, Shakespeare et Schiller ont tenu à l’aise dans les traditions héroïques et historiques. Depuis Électre jusqu’à Wallenstein, il n’y a pas un grand poète qui ait dédaigné l’histoire ou la légende comme un manteau trop étroit pour ses épaules. Derrière cette fierté percée à jour j’aperçois un