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son ame ? Est-ce le dévouement romanesque ou l’égoïsme libertin ? Qu’aime-t-elle dans Rodolfo ? Est-ce la beauté, la jeunesse ou le courage ? Est-ce l’abandon qu’elle veut consoler, ou la fierté sauvage qu’elle a résolu d’amener à ses pieds ? Je ne sache pas que la divination la plus habile puisse aller jusqu’à décider ces questions.

Catarina, mariée de bonne heure à Angelo, invoque chaque jour, comme une céleste vision, l’image adorée d’un jeune cavalier qu’elle avait connu autrefois et qu’elle a retrouvé dans un bal. Elle subit sans colère, mais non pas sans larmes, l’autorité impérieuse de son mari. Quoiqu’elle n’écoute jamais sans trembler la voix de son maître, elle garde pour le serment qu’elle a prononcé un respect religieux. Elle souffre silencieusement, et n’entrevoit pas l’adultère comme le terme de ses douleurs. Lorsqu’enfin elle revoit l’amant dont elle avait rêvé les baisers, elle s’abandonne au bonheur avec une imprévoyance enfantine. Sûre de sa pureté, elle ne peut croire à la vengeance qui plane sur sa tête ; elle ne comprend pas le châtiment pour une faute qu’elle n’a pas commise.

Angelo, délégué de la république vénitienne, gouverne Padoue avec une verge de fer. Il s’explique à lui-même, comme un théoricien consommé, toute la servilité de son despotisme. Il frappe pour n’être pas frappé. Il inflige à la ville gémissante son implacable volonté ; il est trop lâche pour risquer une clémence qui ne lui serait pas pardonnée. Tyran subalterne, et dévoué aux maîtres qui l’ont envoyé, sa main tremblante n’oserait pas signer une grace. Il sait que la révocation d’une sentence de mort le perdrait sans retour près du Conseil des Dix. Il ne s’abuse pas sur la terreur qu’il inspire. Il se fait honte, et sans doute c’est pour imposer silence aux cris de son cœur dépravé qu’il essaie de conquérir l’amour de Tisbe. Il achète sa beauté, et il veut être aimé pour son argent. Mais, comme la plupart des égoïstes opulens qui pourvoient leur couche ainsi que leurs écuries, il se laisse tromper niaisement.

Rodolfo, las de Tisbe, poursuit Catarina ; mais il n’a pu apprendre dans les bras d’une courtisane l’art de réduire une vertu rebelle. Il a toute l’inexpérience du libertinage. En aimant Catarina, il est entré dans un monde nouveau. Son ardeur imprudente multiplie les dangers, au lieu de les combattre.

C’est avec ces personnages que M. Hugo a construit son nou-