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cinq minutes ne fussent pas écoulées, il prit le père par sa robe, et l’arracha à son saint ministère.

— Manoel !… mon enfant !… disait-il au moribond déjà plus d’à moitié dans l’autre monde, cet or !… Fais un dernier effort, mon fils !… Cet or, où l’as-tu laissé ?… Il a répondu, je crois !… Ne dis-tu pas sur les bords du Parana ?… Malédiction sur moi ! il expire !… Sans toi, moine de l’enfer ! je savais son secret !… Ce sont ces chiens qui l’ont tué ; à moi les Pinheiros ! à feu et à sang les Ramalhos !…

Et il s’élança en furieux au plus fort de la mêlée, où presque aussitôt il tomba percé d’un grand coup d’épée au travers du cœur.

La mort d’un homme aussi considérable produisit sur les combattans un effet que toute l’éloquence du père Macedo n’aurait pu obtenir. Ils cessèrent à l’instant leur sanglant démêlé, qui d’ailleurs était désormais sans but ; Manoel avait emporté son secret avec lui. Une douzaine de morts étaient étendus sur le carreau sans parler des blessés. Privés de leur chef, les Pinheiros ne purent désormais contrebalancer l’influence toujours croissante de leurs adversaires : ils abandonnèrent insensiblement Saint-Paul, et long-temps après, lorsque fut fondée à trente lieues de là la petite ville de Taubaté, la plupart de leurs descendans y cherchèrent un asile. Ceux-ci y portèrent la haine des Paulistas que leur avaient léguée leurs pères, et l’ont transmise fidèlement à leur postérité. Elle subsiste encore aujourd’hui ; seulement le temps, qui use tout à la longue, l’a changée en une simple antipathie dont les deux villes auraient peine à préciser la cause.

Quant à l’or des Pinheiros, il gît encore dans le lieu où il fut abandonné, et les génies du désert ont fait si bonne garde à l’entour, que jamais homme n’a pu se vanter de l’avoir découvert. Et comme s’il eût dû être fatal jusqu’au bout aux Paulistas, il leur coûta par la suite plus de sang qu’il n’en avait déjà fait répandre lors de l’échauffourée dont je viens de parler. Pendant près d’un quart de siècle, cette nouvelle toison d’or devint l’objet des ardentes recherches d’une foule d’aventuriers. Dire combien jonchèrent de leurs os les forêts vierges du Brésil, combien peu revirent les bords du Piratininga, serait inutile après ce qui précède. Saint-Paul eût fini par se dépeupler dans cette vaine poursuite, si les