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L’OR DES PINHEIROS.

grand crucifix appendu à la muraille, il s’élança dans la rue. Intrépide en ce moment, comme il l’avait été sous les flèches des Indiens, il courait se précipiter au milieu de la mêlée dans l’espoir d’en imposer par l’autorité de son habit à ces insensés. Mais leur fureur avait produit ses effets plus vite que ne pouvait accourir le charitable père. Lorsqu’il arriva sur la place, Manoel venait de tomber d’un coup d’escopette tiré à bout portant dans la poitrine. Son oncle, qui, malgré son grand âge, avait déjà porté de rudes estocades aux Ramalhos, l’avait reçu dans ses bras, et l’emportait hors de la mêlée.

La blessure était mortelle. Le moine, voyant un homme si près de trépasser, courut à lui comme au plus pressé ; mais le vieillard le repoussa avec violence,

— Un instant, père ! lui cria-t-il, cet homme possède un secret qui vaut le royaume des cieux pour celui qui l’obtiendra ; qu’il le livre et je te l’abandonne.

— Les choses du ciel avant celles de la terre ! répondit le moine ; par ton Dieu que je porte dans mes mains, tu n’oserais charger ta conscience de la damnation de ton neveu !

— Fais donc vite, reprit Pinheiro : je te donne cinq minutes ; je vais prier en même temps pour son ame.

Le père, se baissa sur le mourant, lui soutenant la tête d’une main, et de l’autre approchant le crucifix de sa bouche pour qu’il le baisât. Il lui adressait les paroles de consolation et d’exhortation à bien mourir, en usage en pareils cas. Manoel s’efforçait évidemment d’y répondre : il avait sans doute commis, dans le cours de sa vie errante, plus d’une action dont il eût voulu purger sa conscience ; mais le râle de la mort entrecoupait ses paroles et les rendait inintelligibles.

Le vieux Pinheiro, l’œil à la fois sur lui et sur les combattans, roulait entre ses doigts les grains d’un immense chapelet pendu à sa ceinture et murmurait des pater et des ave entremêlés de juremens d’impatience. Il ne s’était interrompu qu’une seule fois dans cette pieuse occupation pour abattre d’un revers de sa lame un des Ramalhos qui s’était approché de trop près. Il frappait la terre du pied à chaque instant. Enfin, voyant que son neveu n’avait plus que le souffle, il ne put se contenir plus long-temps, et quoique les