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dans des terres noyées et pestilentielles, affronter les rivières débordées, les chutes d’eau, la flèche de l’Indien caché en embuscade, les feux d’un soleil vertical pendant l’été, les pluies diluviennes de la saison opposée, la famine, les maladies ; braver en un mot tout ce que l’imagination peut se représenter de dangers de toute espèce. Partout où la terre était rouge et offrait certains indices à lui connus, le chef de l’expédition faisait fouiller le sol : si un peu d’or s’offrait à ses regards, les fatigues passées étaient oubliées, et les travaux d’exploitation commençaient aussitôt ; dans le cas contraire, on poussait plus avant. Des mois, des années entières se passaient de la sorte ; enfin on voyait arriver à Saint-Paul quelques malheureux hâves, méconnaissables aux yeux mêmes de leurs proches, restes de l’expédition déjà à moitié oubliée. S’ils avaient de l’or à montrer, des promesses brillantes à faire, peu importait la distance ; une fièvre générale s’emparait de toute la province ; des familles entières, y compris les femmes et les enfans, se mettaient en route pour le nouvel Eldorado. Ce qui survivait aux dangers du trajet s’établissait sur les lieux, et une nouvelle colonie était fondée. Quelquefois, lorsque les expéditions se composaient d’un petit nombre d’individus, on n’en entendait plus jamais parler. Cependant tous n’avaient pas péri ; mais séparés de leur patrie par un intervalle immense, les aventuriers se dispersaient de côté et d’autre, et chacun d’eux s’établissait là où lui en venait la fantaisie. C’est ainsi que dans les provinces les plus éloignées du Brésil, on rencontre assez souvent des familles qui, loin d’avoir oublié leur origine, rappellent encore avec une sorte de fierté que le sang des Paulistas coule dans leurs veines.

De retour dans ses foyers, le Paulista y rapportait une humeur altière, une indépendance sauvage, hostile à tous les liens sociaux. Il était rare qu’il n’eût pas quelque compte à régler avec ses voisins, soit à propos d’esclaves enlevés, soit pour toute autre offense reçue, et l’on savait qu’il eût été dangereux pour les objets de sa haine de le rencontrer le soir, à la brune, dans un lieu écarté. Un long stylet, caché dans l’une de ses bottes ou sous le cuir de sa selle, eût alors inévitablement vu le jour, et n’eût pas brillé en vain dans l’ombre. Si l’occasion favorable ne se présentait pas, malgré son irritabilité naturelle, il savait l’attendre long-temps. Maintes