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L’OR DES PINHEIROS.

et de serviettes ; leur nourriture frugale dépendait des Indiens, qui leur apportaient les produits de leur pêche et de leur chasse, et qui souvent les laissaient manquer du strict nécessaire. Cependant, sous ces misérables cabanes, le luxe de la civilisation s’était glissé en même temps que la religion. Anchieta, qui avait fait de bonnes études à Coïmbre, enseignait le latin aux enfans de quelques créoles du voisinage, et même à ceux des Indiens. Manquant de livres, il passait les nuits à écrire ses leçons, faisant autant de copies de chacune qu’il avait d’élèves. Lui-même apprenait la langue des Indiens, et la sut bientôt assez pour composer des chants qui devinrent aussitôt populaires. On lui doit une des meilleures grammaires de cette langue qui ait été publiée, sans parler d’un poème latin de cinq mille vers qu’il composa pendant un séjour de plusieurs mois au milieu des Indiens, et qu’il grava dans sa mémoire jusqu’à ce que, de retour à Saint-Paul, il pût le jeter sur le papier.

La plaine de Piratininga n’était cependant pas entièrement déserte, lorsque les missionnaires vinrent s’y établir. Depuis peu d’années, quelques colons s’y étaient fixés, ou plutôt y menaient une vie intermédiaire entre celle de l’Indien et de l’homme civilisé, négligeant la culture, sauf celle du manioc, absolument indispensable à leurs besoins, suppléant au reste par la chasse, sans cesse en quête de mines, et se battant avec les peuplades indiennes qu’ils réduisaient en esclavage, quoique la plupart d’entre eux eussent pris femme parmi elles. Il est à peu près certain, malgré l’autorité de Fray Gaspar, que ces premiers colons étaient un mélange d’hommes de toutes les nations, qu’une vie désordonnée avait conduits naturellement à embrasser cette existence sauvage.

La ville naissante attira sur les lieux un grand nombre d’autres colons qui, pour la plupart, imitèrent ceux dont je viens de parler. Il paraît même, d’après une attaque que les Paulistas de la campagne firent contre ceux de la ville, en 1590, qu’il existait une violente inimitié entre ces deux classes de la population, inimitié dont les missionnaires étaient la cause indirecte. À Saint-Paul, en effet, comme dans le reste de l’Amérique, les missionnaires s’interposaient sans cesse entre les Indiens et leurs oppresseurs.