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Lamartine, ne ressemble à l’étourderie, à l’oubli de soi-même. Il ne marche jamais sans composer son attitude. Dès qu’il s’arrête, il pose.

Il est difficile, je l’avoue, de traduire avec précision le caractère de cette pensée vagabonde, et cependant attentive à ne jamais s’oublier. Bien qu’elle manque d’énergie et de vivacité, elle ne se résigne jamais à une complète modestie. Elle a toujours en vue l’ame de ceux qui l’écoutent. Elle ne se résout pas aux mouvemens laborieux, mais elle s’agite en tous sens pour simuler de son mieux une force qu’elle n’a pas. Elle va et vient sans avancer, et quand la sueur ruisselle de son front, elle s’assied triomphante, et donne le signal des applaudissemens.

La poésie embryonaire, qui envahit toutes les pages du Voyage en Orient, n’est pas seulement malheureuse par elle-même, elle atteint jusqu’au passé du poète. Sans doute les Méditations et les Harmonies ne perdent rien dans cette déplorable défaite. Sans doute les vrais amis de la rêverie religieuse et tendre ne détacheront pas leur admiration de ces deux beaux monumens ; mais pour le plus grand nombre la poésie embryonaire du Voyage se confondra irrésistiblement avec la poésie vivante et vigoureuse des Méditations et des Harmonies.

M. de Lamartine tient, je le sais, pour sa justification une excuse toute prête. Il entrevoyait au terme de son Odyssée un enseignement politique. Il fait bon marché lui-même de ses souvenirs, de ses impressions et de ses paysages ; il consent de bonne grace à demeurer au-dessous de tous les voyageurs qui l’ont précédé ; il se résigne à descendre au-dessous de lui-même, à mêler confusément les couleurs que jusqu’ici il avait si habilement ordonnées, à peindre avec nonchalance et gaucherie les larges horizons qu’il peignait si bien autrefois. Les seules pages qu’il estime sérieusement, les seules qu’il voudrait jeter à l’Europe attentive, sont celles où il expose sa théorie politique.

Quelle est cette théorie ? Je ne parle pas des parenthèses capricieuses où l’auteur veut conquérir l’Asie avec six mille hommes, ou bien imposer au monde entier le christianisme législaté. C’est dans l’épilogue du Voyage que cette théorie se montre franchement, c’est là qu’il faut la prendre. En voici les principales propositions.