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empêcher de rectifier. Le salon de Mme de Staël, à Paris, est représenté comme le centre d’une coterie de mécontens, d’hommes blasés de l’ancien et du nouveau régime, incompatibles avec une république pure et hostiles à l’établissement intègre qu’on allait, si vainement, essayer. Benjamin Constant y apparaît, au contraire, dans la candeur du noviciat, enclin de sentimens vers les républicains modérés, vers ces mêmes patriotes qu’on lui peint dans le salon de Mme de Staël comme des ames sanguinaires. Exact et bien dirigé en ce qui touche les sentimens politiques de Benjamin Constant, l’ingénieux écrivain n’a pas rendu la même justice à Mme de Staël. Quel qu’ait pu être, en effet, le mélange inévitable de son salon comme de tous les salons à cette époque bigarrée, les vœux manifestes qu’elle formait n’étaient pas dans un autre sens que l’honorable et raisonnable tentative de l’établissement de l’an iii. Sans nous en tenir à ce qu’elle exprime là-dessus dans ses Considérations, qu’on pourrait soupçonner d’arrangement à distance, nous ne voulons pour preuve que ses écrits de 95 à 1800, et les résultats ostensibles de ses actes. En général, il y a deux sortes de personnes qu’il ne faut jamais consulter ni croire, quand il s’agit des relations et du rôle de Mme de Staël durant cette période ; d’une part, les royalistes restés fidèles à leurs vieilles rancunes ; ceux-ci l’accusent d’alliances monstrueuses, de jacobinisme presque, d’adhésion au 18 fructidor, que sais-je ? — D’autre part, ceux dont on ne doit pas moins récuser le témoignage à son sujet, ce sont les conventionnels, plus ou moins ardens, qui, favorables eux-mêmes au 18 fructidor, puis adhérens au 18 brumaire, ont finalement servi l’Empire : ils n’ont jamais rencontré cette femme insoumise que dans des rangs opposés. Les amis politiques, les plus vrais, de Mme de Staël, à cette époque doivent se chercher dans le groupe éclairé et modéré où figurent Lanjuinais, Boissy-d’Anglas, Cabanis, Garat, Daunou, Tracy, Chénier. Elle les estimait, les recherchait ; sa liaison avec quelques-uns d’entre eux était assez grande. À partir du 18 brumaire un intérêt plus vif s’y mêla ; l’opposition de Benjamin Constant au Tribunat devint un dernier nœud de rapprochement. Lorsque le livre de la Littérature, en 1800, et Delphine, en 1803, parurent, ce fut seulement parmi cette classe d’amis politiques, nous le verrons, qu’elle trouva de