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commisération profonde et de justice déjà calme, l’appel de toutes les opinions non fanatiques à l’oubli, à la conciliation ; la crainte des réactions imminentes et de tous les extrêmes renaissant les uns des autres ; ces sentimens aussi généreux qu’opportuns marquent à la fois l’élévation de l’ame et celle des vues. Il y a une inspiration antique dans cette figure de jeune femme qui s’élance pour parler à un peuple, le pied sur des décombres tout fumans. Il y a de plus une grande sagacité politique et une entente de la situation réelle, dans les conseils déjà mûrs qui lui échappent sous cet accent passionné. Témoin des succès audacieux du fanatisme, Mme de Staël le déclare la plus redoutable des forces humaines ; elle l’estime inévitable dans la lutte et nécessaire au triomphe en temps de révolution ; mais elle le voudrait à présent circonscrire dans le cercle régulier qui s’est fait autour de lui. Puisque ce fanatisme se portait sur la forme républicaine qu’il a enfin obtenue, elle convie tous les esprits sages, tous les amis d’une liberté honnête, quel que soit leur point de départ, à se réunir sincèrement en cette nouvelle enceinte ; elle conjure les cœurs saignans de ne pas se soulever contre un fait accompli : « Il me semble, dit-elle, que la vengeance (si même elle est nécessaire aux regrets irréparables) ne peut s’attacher à telle ou telle forme de gouvernement, ne peut faire désirer des secousses politiques qui portent sur les innocens comme sur les coupables. » Il n’est pas en révolution de période plus heureuse, selon elle, c’est-à-dire plus à la merci des efforts et des sacrifices intelligens, que celle où le fanatisme s’applique à vouloir l’établissement d’un gouvernement dont on n’est plus séparé, si les esprits sages y consentent, par aucun nouveau malheur. On voit qu’elle traite le fanatisme tout-à-fait comme une force physique, comme elle parlerait de la pesanteur, par exemple : grande preuve d’un esprit ferme le lendemain d’une ruine ! Persuadée qu’on n’agit que sur les opinions mixtes, Mme de Staël se montre surtout préoccupée dans cet écrit de convaincre les Français de sa ligne, les anciens royalistes constitutionnels, et de les rallier franchement à l’ordre de choses établi, pour qu’ils y influent et le tempèrent sans essayer de l’entraver : « Il est bien différent, leur dit-elle, de s’être opposé à une expérience aussi nouvelle que l’était celle de la république en France, alors qu’il y avait tant