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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

espèce. Une grande pluie qui survint me fit croire la nature sensible à mes maux. Chaque feuille semblait pleurer avec moi. Les oiseaux semblaient interdits par mes gémissemens. Cette idée saisit tellement mon ame, que je fis tout haut à l’Éternel les plus véhémentes prières. Ne pouvant rester long-temps dans ce désert, je revins cacher ici ma tristesse, etc., etc. » Sophie ou les Sentimens secrets, composé à vingt ans, vers 1786 ou même auparavant, est un drame en vers dont la scène se passe dans un jardin anglais, en vue d’une urne environnée de cyprès et d’arbres funèbres. Cécile, enfant de six ans, s’avançant vers la triste Sophie, qu’une passion silencieuse dévore, lui dit :


Pourquoi donc loin de nous restes-tu maintenant ?
Mon père est inquiet.

SOPHIE.

Mon père est inquiet. Ton père ?

CÉCILE.

Mon père est inquiet. Ton père ? Mon amie,
Il redoute pour toi de la mélancolie.
Explique-moi ce mot…


N’est-ce pas ainsi que Mlle Necker demanda un jour brusquement à la vieille maréchale de Mouchy ce qu’elle pensait de l’amour : folle histoire dont s’égayait tant M. Necker et dont sa fille aimait chaque fois à le faire ressouvenir. Il y avait, sinon dans les premiers écrits de Mme de Staël, du moins dans sa personne, une vivacité alliée à la tristesse, une spirituelle pétulance à côté de la mélancolie, une facilité piquante à saisir vite son propre ridicule et à en faire justice, qui la sauvait de toute fadeur, et qui attestait la vigueur saine du dedans. Les trois nouvelles, publiées en 95, et composées dix ans auparavant, Mirza, Adélaïde et Théodore, Pauline, ont tout-à-fait la même couleur que Sophie, et leur prose facile les rend plus attachantes. Ce sont toujours (que la scène se passe en Afrique chez les nègres ou au fond de nos parcs anglais), ce sont des infortunés que la sensibilité enveloppe d’un nuage, des amans que la nouvelle funeste d’une infidélité réduit à l’état d’ombres ; c’est quelque tombeau qui s’élève au sein des bosquets. Je