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et qui commencèrent cette rude guerre, continuée depuis avec non moins de succès, mais plus de modération, dans ses publications subséquentes.

Allemand par la naissance, par l’imagination, par un certain mélange de bonhomie rêveuse et de scepticisme panthéistique, Heine appartient à la France par ses sympathies libérales, révolutionnaires même, par ses tendances réalistes, sensualistes, bizarrement alliées chez lui à l’exubérance d’imagination qu’il tient de sa mère-patrie. Venu en France, où il n’avait point à redouter les tracasseries des petits princes allemands, il s’est fait de la France une chaire à double écho, enseignant la France à l’Allemagne, l’Allemagne à la France, s’efforçant d’inspirer à l’Allemagne ce sentiment de liberté pratique, qui ne nous permet guère, à nous autres Français, de nous tenir pour satisfaits de concessions théoriques, si larges qu’elles puissent être, commentant à l’usage de la France les rêveries panthéistiques de l’Allemagne, et cherchant un point de ralliement, un drapeau commun entre les deux pays, un terrain neutre où le traité d’alliance puisse, sans répugnance, être signé des deux parts. Tel est Heine, tel on le retrouve en littérature, en poésie, en philosophie, en politique.

C’est ainsi qu’en littérature il avait fort bien compris que les tentatives du romantisme, l’exhumation du moyen-âge, la résurrection de la chevalerie et de toute la poésie long-temps oubliée de cette époque, s’appuyaient en définitive sur des sympathies catholiques qui avaient été l’aversion de toute sa vie. En France, où les mouvemens littéraires n’ont ni le même sérieux, ni la même gravité, où l’action des poètes et des critiques se trouve à chaque instant limitée par les intérêts et la marche ininterrompue du monde matériel, le romantisme suscita quelques beaux talens, apprit à mieux apprécier les poétiques beautés de l’art et de la société catholique, en butte, depuis Voltaire, à un sarcasme superficiel et routinier, répété sur la parole du maître. Il n’y avait pas lieu de craindre que cette belle sympathie pour le passé nous portât à vouloir pour notre compte des institutions ou des croyances qui avaient régné sur nos aïeux. Les beaux temps du romantisme, c’étaient les années 1825, 26, 27, 28 ; or, pendant que les romanciers, et les poètes, et les historiens, réhabilitaient le moyen-âge, chantaient la Vierge, réinstallaient sur son trône historique le vieux Grégoire vii, à cette même époque, la France politique repoussait la loi du sacrilége, renversait le ministère Villèle, imposait, sous M. de Martignac, la surveillance universitaire aux séminaires des jésuites, jusque-là exempts de tout contrôle. Dans ces retours littéraires vers le passé, il n’y avait donc pas le moindre péril pour les choses