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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’il a présenté quatre ou cinq mémoires en faveur de cette mesure. Les mémoires de M. Thiers se retrouveront avec ceux de M. Pasquier.

M. Guizot seul a le courage de ses opinions. Il veut le procès, et il le dit. La force doit rester au pouvoir. Le ministre de l’instruction publique explique toutes les nécessités de cette procédure ; il faut, selon lui, que la victoire de juin s’achève, que les conséquences de l’état de siége s’accomplissent ; c’est un homme complet qui ne reculerait pas devant les déductions de ses théories, dussent-elles en venir à l’échafaud.

C’est l’avis de tous les hommes qui observent, et qui sont en position de voir les choses de près, que le roi est impatient de se débarrasser de ce ministère, et que M. Thiers, depuis son dernier discours en réponse au duc de Fitz-James, pèse plus à son royal ami que les autres ministres. La pensée suprême laisse ce cabinet perdre ses dernières forces dans les illégalités indispensables où l’entraîne le procès qui le tuera ; elle le laisse se flétrir dans la honteuse et misérable discussion du traité américain, dont la réussite assurera à ce ministère un renom ineffaçable de lâcheté et de peur. Cela fait, ses grandes destinées seront accomplies. Il pourra se retirer en paix, après avoir couvert nos villes de sang et de ruines, enfreint partout les lois, violé la liberté individuelle, poursuivi la presse avec un acharnement inoui, dissout en vingt endroits la garde nationale, après avoir arraché les accusés à leurs juges, après avoir essayé de déshonorer les médecins par une ordonnance monstrueuse, les avocats par des prétentions insoutenables ; après avoir fait fleurir la police, la délation, fondé son pouvoir sur les fonds secrets, son crédit sur la corruption et les pots-de-vin ; et, enfin pour couronner l’œuvre, après avoir déposé les millions de la France aux pieds des Américains, et porté humblement notre or dans la balance où nos ancêtres ne jetaient que leur épée.

Il est facile de s’expliquer aujourd’hui l’impossibilité de former un autre ministère. Ni le maréchal Soult, ni le maréchal Gérard n’eussent voulu se charger de conquérir vingt-cinq millions dans la chambre pour le président Jackson. Ce n’est pas M. Molé qui eût consenti à débuter dans un ministère par une demande exagérée de fonds secrets, et il est probable que M. Dupin, quelque fâcheuses que soient ses réticences, n’eût pas consenti à marquer son entrée à la chancellerie par une attaque contre l’indépendance du barreau. Toutes ces choses résultent de la situation que le ministère actuel nous a faite. Il faut qu’elles s’accomplissent, et c’est à lui d’en recueillir les fruits.

Le dernier discours de M. Thiers a renouvelé les aigres discussions qu’on s’efforçait d’écarter depuis quelque temps dans le cabinet. M. de Rigny