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eut aussi, dit-on, un jour de clémence, et c’est, le croirait-on ? C’est M. Pasquier qui fait glisser dans quelques feuilles innocentes et dévouées qu’il a présenté, dès l’origine, quatre ou cinq mémoires en faveur de l’amnistie. On ne dit pas à qui s’adressaient ces mémoires. On ne dit pas si c’est au roi ; mais assurément ce n’était ni aux ministres ni à la chambre des pairs que M. Pasquier les adressait. Dans tous les cas, M. Pasquier était bien actif à cette époque, car dans les intervalles de loisir que lui laissait la composition de ses quatre ou cinq mémoires, il se délassait en lançant cette multitude de mandats d’amener, signés de lui, qui ont parcouru toute la France, et à l’aide desquels on a fait des arrestations jusqu’à Strasbourg et à Marseille. N’importe, M. Pasquier tient beaucoup à établir qu’il a voulu amnistier tous les accusés qu’il a jetés de si bonne grace dans les cachots, et qu’il repousse le procès auquel il a travaillé avec tant d’habileté et de zèle. Il y tient tellement qu’une sorte de rixe s’est élevée entre lui et M. Dupin qui l’accuse, dans le Journal de la Nièvre, d’avoir été moins indulgent qu’il ne l’est aujourd’hui. M. Dupin, qui n’a d’avis ni sur le procès, ni sur l’amnistie, n’est peut être pas en droit de s’enquérir des opinions de M. Pasquier ; mais n’importe, il le poursuit avec acharnement, et c’est une petite comédie fort divertissante que cette querelle entre les présidens des deux chambres.

M. Dupin accuse aussi M. Molé de n’avoir pas toujours été du parti de la clémence, et en cela M. Dupin a tort. M. Molé désirait tellement une amnistie, qu’il ne voulait pas que le ministère dont il devait faire partie, courût les chances d’une discussion dans la chambre à ce sujet. En proposant une loi d’amnistie, disait-il, on court le risque de la voir repousser par les centres, ou de n’en obtenir l’adoption qu’à une faible majorité, ce qui ôterait toute puissance et tout caractère de clémence à cette mesure. Le rejet de la loi d’amnistie forcerait le ministère à dissoudre la chambre, ajoutait-il, et pendant ce temps les prisons ne s’ouvriraient pas. C’était donc uniquement pour mieux assurer l’amnistie que M. Molé ne voulait pas qu’on en fît une affaire législative. Sa pensée pouvait n’être pas complètement régulière, d’après la jurisprudence et les idées du barreau sur le droit de grace et de rémission, mais elle était généreuse, large et loyale, et, en ce sens, on ne peut rien reprocher à M. Molé.

Parmi ceux qui veulent l’amnistie sans le dire, et ceux qui n’en veulent pas sans l’avouer ; entre ceux qui la demandent par une loi et ceux qui la proposent par ordonnance, il est bien difficile de trouver les membres d’un ministère. M. Thiers seul pourrait en faire partie ou le composer, car il sera toujours de l’avis du principe qui dominera, et le jour où l’amnistie sera la condition d’un nouveau cabinet, il nous prouvera sans doute aussi