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VISITE À LATTAQUIÉ.

qu’ils adorent, ce n’est point la femme avec ses enivrantes séductions, la femme née d’une pensée d’amour pour aider l’habitant de la terre à supporter ses maux ; les Ansariens adorent simplement en elle l’instrument sacré dont Dieu se sert pour multiplier la race humaine. Les femmes ansariennes n’ont aucun devoir religieux à remplir, puisque toute connaissance de la religion leur est interdite ; leur salut dans la vie à venir est une question que les cheiks savans n’ont jamais pris la peine d’étudier ; elles vivent comme les animaux grossiers incessamment courbés vers la terre. Pourquoi leveraient-elles les yeux en haut ? Les portes du ciel leur ont été fermées.

D’après cela, on ne s’étonne point que cette nation compte pour peu de chose la fidélité conjugale. Un mari ne s’inquiète pas beaucoup que sa femme lui soit fidèle ou non, pourvu toutefois qu’il ne la surprenne point entre les bras d’un autre : aux yeux d’un Ansarien, le commerce avec les femmes est une chose sainte. Les lois du pays ne défendent point la polygamie ; un homme peut épouser jusqu’à quatre femmes, mais il ne peut en répudier aucune. La chasteté n’est point une vertu dans l’opinion des Ansariens ; cette fleur de virginité, première parure d’un jeune front, charme divin qui fait tant aimer l’adolescence, l’aimable naïveté d’une ame qui ne s’ouvre que timidement aux premiers regards du monde, tout cela n’est absolument rien dans les montagnes voisines de Lattaquié.

Les Ansariens croient à la magie et à la métempsychose ; un homme de cette peuplade disait qu’il se souvenait d’avoir été tour à tour Anglais, chèvre et gazelle.

Les Ansariens, ayant su que les Anglais ne sont point catholiques, ont conclu que la nation britannique professait la même religion qu’eux. « Quel dieu adorez-vous ? disais-je en souriant à un cheik ansarien. » — Ensari, Ingliz, sava, sava (les Ansariens et les Anglais marchent ensemble), me répondit-il d’un ton très sérieux. Le même cheik me demandait pourquoi la France n’envoyait pas une armée en Syrie pour en chasser les musulmans : « Comptez sur les Ansariens, ajoutait-il ; écrivez-nous un simple billet d’avis et vous aurez vingt mille cavaliers à vos ordres. » Pour comprendre cette énergique protestation contre les Turcs, il faut qu’on sache que les Ansariens, devenus pour les musulmans un objet de mépris