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long de ses épaules ; elle portait une casaque noire bordée de cordons rouges ; sa tunique de toile bleue descendait à mi-jambe ; rien n’était gracieux et léger comme la démarche de la jeune Arabe. Guéorguious reconnut Eudoxie. Le chemin était solitaire ; pas de témoins, aucun regard à redouter ; Guéorguious attendit, pour aborder Eudoxie, qu’elle fût parvenue derrière un mur verdoyant formé d’orangers, de grenadiers et d’oliviers. Là, les deux amans se parlèrent rapidement d’amour, de bonheur, d’avenir. Eudoxie, long-temps condamnée à toutes les douleurs de l’isolement, s’abandonna sans crainte aux tendres épanchemens de Guéorguious ; ceux qui ont besoin d’être aimés croient facilement qu’on les aime, et puis Guéorguious avait un langage, un accent de vérité, qui ne permettait pas de douter de lui. Eudoxie n’eut point le courage de dérober ses lèvres aux lèvres tremblantes de son ami. Le prophète arabe a dit que le baiser donné par l’enfant à sa mère égale en douceur celui qu’on donnerait au seuil de la porte du ciel ; un baiser d’amour, surtout un premier baiser, c’est quelque chose de plus que les douceurs de la porte du ciel, c’est le ciel même.

À compter de ce jour-là, Eudoxie et Guéorguious trouvèrent les moyens de se rapprocher, de converser plus souvent ensemble, de se redire ces mille paroles de causerie intime et amoureuse qui, pour deux amans, sont autant de gouttes de miel versées dans la coupe de leurs jours. Eudoxie n’était plus seule dans le monde ; un esprit veillait sur elle, esprit bienfaisant qui protégeait son existence ; une ame tendre et dévouée était venue remplir le vide de son ame ; l’univers avait pris à ses yeux de plus riantes couleurs ; la nature lui semblait plus belle, l’humanité meilleure. Ce n’était plus la pâle jeune femme au front couvert d’ombres, au sourire mélancolique ; la joie se peignait sur son front pur ; tout son visage s’animait de bonheur ; une douce gaieté avait remplacé la tristesse au fond de son œil noir. Dimitri et les gens de la ville, qui remarquaient le changement d’Eudoxie, ne voyaient dans cette soudaine métamorphose que le retour de la santé. Eudoxie songeait à Guéorguious dans tous les mouals d’amour qu’elle répétait à la porte des cafés ; dans les bazars, dans les réunions du soir où elle était appelée, elle chantait de préférence la chanson composée pour elle sur les bords du Nahr-el-Kébir, et plus d’une fois des larmes de bonheur