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VISITE À LATTAQUIÉ.

courte chanson qu’il chanterait lui-même en présence d’Eudoxie lui parut une heureuse manière d’ouvrir son ame amoureuse à la pauvre femme. Le jeune Arabe tira de sa ceinture l’écritoire de cuivre jaune qu’il avait coutume de porter, et bientôt il écrivit avec son calem de roseau, sur un bout de gros papier, des vers dont voici à peu près le sens :


Celle que j’aime a vaincu le rossignol dans les combats du chant ;
Les sons de sa voix sont plus doux que les sons du nay,
Plus harmonieux que le murmure des cascades du Liban,
Que les rameaux des chênes et des mélèzes agités par le vent du soir.
Deux étoiles qui brillent à côté de nuages épais
Jettent un éclat moins vif que les yeux de celle que j’aime.
Celle que j’aime est une fleur tendre,
Courbée sur un vieux tronc qui lui donne lentement la mort ;
Je veux l’arracher à son mauvais destin.


Guéorguious revint du Nahr-el-Kébir, préoccupé de mille doutes, de mille pensées inquiètes ; en rentrant dans sa demeure, il rencontra une bonne vieille chrétienne liée depuis long-temps avec la mère d’Eudoxie ; il se contenta de lui demander d’un air qu’il s’efforçait de rendre indifférent et léger, si, dans la journée, elle avait entendu la belle chanteuse. La bonne vieille, qui, une heure auparavant, avait vu Eudoxie, crut inutile de répondre au jeune homme. Guéorguious passa la nuit sans dormir ; vous devez imaginer si la nuit lui parut longue ; il quitta sa natte dès que le muezzin de la mosquée la plus voisine eut béni Allah du haut du minaret.

Guéorguious était un beau jeune homme de vingt ans, grand, bien fait, portant avec noblesse son beau turban noir et sa robe d’étoffe brune à la manière des chrétiens du pays : l’expression de sa figure était sévère et recueillie ; mais dès qu’il parlait, sa physionomie animée s’adoucissait, et n’exprimait plus que la douceur et la bonté. Rien n’était charmant et franc comme son sourire sous ses moustaches noires ; comme il parlait toujours avec conviction, son amitié se révélait facilement aux gens qu’il aimait.

Sorti de sa demeure au premier chant du muezzin, Guéor-