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d’animaux, et les ordures qu’on entasse dans le quartier grec, exhalent des miasmes impurs qui pourraient nuire à la santé des habitans. Dans ces dernières années, on allait jusqu’à jeter dans le quartier grec le corps de ceux qu’on avait pendus, empalés ou crucifiés. L’eau de Lattaquié est mauvaise ; la seule bonne fontaine est celle de Saint-Alexis, à peu de distance de la ville, et c’est là que vont puiser la plupart des habitans.

Il est peu de villes en Syrie où les chrétiens soient aussi amoureux des plaisirs et des fêtes qu’à Lattaquié. À les voir ainsi perpétuellement disposés à s’amuser, on ne dirait pas que la domination musulmane étend sur eux de pesantes chaînes. Les femmes de Lattaquié sont en général belles ; l’éclat et la noblesse de leur costume ne les servent pas médiocrement. Les chrétiens forment souvent le soir des réunions joyeuses ; au printemps, en été et en automne, les familles ou les amis s’asseient en cercle dans la cour des maisons sur des nattes et des tapis ; en hiver, dans une des salles intérieures meublées de divans écarlates. Là, les heures se passent en causeries, en récits, en contes merveilleux ; souvent les femmes dansent en cadence à la manière des almées égyptiennes ; les hommes chantent au bruit du psaltérion ; Karakous (le polichinelle d’Orient) y donne des représentations tant soit peu licencieuses ; et au-dessus de tous les groupes, la fumée odorante du kassabé ou du narguillé s’élève en nuages blancs. Dans ces réunions du soir se retraçaient à mes yeux différentes scènes de la vie arabe ; les mœurs et les coutumes locales étaient là devant moi sans mystère, sans aucun de ces voiles qui dérobent la vérité au voyageur. Entre autres sujets de causerie, on parlait de la honte qui s’attache à une jeune fille arrivée à sa vingtième année sans avoir trouvé un époux ; car la grande affaire d’une bonne mère, à Lattaquié, est de marier sa fille, n’importe de quelle manière, n’importe avec quel mari : plus une fille se marie jeune, plus elle a de droits au respect et à l’estime de tous. On imagine facilement que de pareils préjugés doivent faire bien des victimes. J’ai entendu raconter à ce sujet une histoire assez triste.

Une jeune fille, nommée Eudoxie, Arabe chrétienne de la communion grecque, vivait à Lattaquié, il y a sept à huit ans. Dans