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VISITE À LATTAQUIÉ.

que c’était un crime de permettre aux Francs d’aller à cheval dans la ville, parce que le cheval est chéri du prophète, l’apôtre barbaresque reçut ordre de sortir d’Alep et de n’y plus reparaître ; il se réfugia dans un bourg voisin d’Alep, connu par l’étrange licence de ses mœurs ; le cheik, s’obstinant à vouloir convertir les habitans de ce bourg, en fut chassé et se rendit à Lattaquié. Une de ses premières œuvres à Lattaquié, ce fut de faire assassiner un chef de la secte des Nosaïris ou Ansariens, répandus dans la partie septentrionale du Liban. Le santon Mougrabbin trouva dans la ville de Lattaquié des cœurs qui recueillirent ses saintes paroles, des bouches qui publièrent ses miracles ; il se vantait d’entretenir un commerce habituel avec Dieu et les anges, et les musulmans croyaient cela comme parole de Koran. Il n’est point de maison turque qui ne se fit gloire de recevoir cet autre élu d’Allah ; disons même que la porte des harems ne se fermait jamais pour lui.

Le tombeau du cheik Mahomet, dressé en forme de catafalque, est renfermé dans la nouvelle mosquée ; il est en marbre et revêtu d’une draperie ; aux quatre coins du sépulcre pendent de longs rosaires. J’ai vu des groupes de musulmans prier autour du tombeau, assis sur leurs talons : et branlant la tête ; ils comptaient les quatre-vingt-dix-neuf grains de leur cumbolio en répétant à chaque grain avec une endormante monotonie : — Alla-Kébir, — Dieu est grand. — Quelqu’un qui, passant auprès de la mosquée, eût entendu un pareil bourdonnement, sans en savoir la cause, eût pu croire facilement qu’une ruche d’abeilles était enfermée dans l’édifice plutôt qu’un sépulcre entouré de dévots musulmans.

Les bazars sont comme l’image du commerce dans une cité asiatique ; le dénuement et la solitude des bazars de Lattaquié prouvent assez que les beaux jours de cette ville sont passés. Le tabac de Lattaquié, si doux, si parfumé, le meilleur et le plus célèbre d’Orient, est cultivé par les Ansariens dans les montagnes voisines. Cette peuplade vend tous les ans pour cinq à six cents piastres de tabac. Les Ansariens donnent à leur toutoun (tabac) la suave odeur et la couleur noire qui le distinguent en brûlant d’un bois, nommé ezez ; ils suspendent le toutoun en feuilles au plancher de leurs cabanes, et ces feuilles se parfument et se brunissent par la fumée du ezez. En cultivant ainsi la plante fameuse à laquelle la