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plus riche que celui des peintres d’histoire. Les lieux ne changent pas du jour au lendemain comme les sociétés humaines. Les chemins de fer peuvent sillonner les Alpes, mais l’industrie humaine ne fondra pas les glaciers et ne ralentira pas la chute des torrens. Chaque jour, au contraire, altère et métamorphose les mœurs et les coutumes des nations. David, il y a cinquante ans, disposait de Rome entière, et la faisait poser devant lui. MM. Schnetz et Robert ont interrogé les solitudes de la Sabine et les repaires de Sonnino ; en 1825, ils copiaient les bandits, mais à cette heure il n’y a plus de bandits ; il n’y a plus de lazzaroni à Naples ; Constantinople voit disparaître les turbans, et la Grèce grisonner les derniers de ses pallikares. Mais l’ancien monde n’est pas épuisé de tout point ; l’Orient garde un trésor de beautés naturelles qui attendent d’autres Robert. Raphaël et Poussin traduisaient la Bible en poésie grecque et occidentale : sous cette version des Septante, il reste encore tout le texte hébreu. La vie des Arabes au désert, c’est la Bible en action : là vous trouverez une forme moins arrêtée sans doute et moins parfaite que la forme grecque, mais vous gagnerez en grandiose ce que vous aurez perdu du côté de la précision. M. Horace Vernet a bien compris cette vérité dans son voyage d’Alger, il a découvert la mine que la peinture est appelée à exploiter ; mais si son esprit a deviné cette mine, son talent l’a laissée intacte : M. Vernet est trop imbibé lui-même des influences sociales, pour qu’il puisse librement aspirer ce souffle de poésie. C’est un trait charmant que d’avoir appelé Eliézer et Rébecca un tableau qui n’offre que l’imitation familière et actuelle des mœurs des Bédouins ; mais, quelle que soit la délicatesse de pinceau avec laquelle le peintre a traité ce sujet, sa Rébecca a trop de la femme d’agent-de-change, et son Eliézer du capitaine d’état-major, pour qu’il y ait ici plus que l’indication de la marche à suivre.

Quoi qu’il en soit, une telle direction nous semble seule réellement féconde, que le peintre s’arrête, comme Léopold Robert, à l’imitation de ce qu’il voit, ou qu’embrassant une tâche encore plus pénible, il veuille interpréter les grandes figures de l’histoire d’après les figures vivantes et familières qui les rappellent encore le mieux. Parmi les raisons qui font désespérer de la peinture, on met en première ligne la ruine des croyances religieuses : les sujets