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nier chef-d’œuvre. Il n’appartient à personne, encore moins à ceux qui ont aimé la personne du peintre, et admiré l’extrême pureté de son caractère, de scruter les causes d’un tel suicide, ni d’en juger l’intention. Robert emporte avec lui le secret de ses chagrins, secret qui peut-être ne sera jamais pénétré. Mais son tableau reste, et joint à vingt autres tableaux tous vraiment supérieurs, il assure à l’homme qui les a produits une des gloires les plus durables de notre école.

Le tableau des Pêcheurs de l’Adriatique appartient à une série d’ouvrages dans lesquels Robert s’était proposé de parcourir le cercle des saisons en Italie. Le premier qu’on a vu, c’était l’automne ; Robert avait réalisé cette saison par une scène de vendanges des environs de Naples. Ce tableau, connu sous le nom du Retour de la madona dell’Arco, appartient au public ; on le voit dans la galerie du Luxembourg. En représentant l’Arrivée des moissonneurs dans les Marais Pontins, Robert exprima l’été ; ce second tableau appartient au roi : on a cessé de le voir depuis son apparition au salon de 1831. Le peintre a voulu cette fois rendre le caractère poétique de l’hiver en Italie. Ce troisième ouvrage, d’une dimension supérieure au précédent, qui lui-même était plus grand que le premier tableau, vient d’être acquis par un particulier ; il est à regretter qu’on ne se soit pas arrangé d’avance pour que les Saisons de M. Robert fussent réunies dans une des salles du Luxembourg. Plus tard, elles n’auraient pas été déplacées à côté des Saisons du Poussin.

On sait le principe sur lequel repose toute la peinture de Robert : il remonte aux usages naturels comme à la source de toute poésie ; il fait voir l’homme dans ce qu’il a pu conserver des traces de son développement primitif ; le combat des affections inhérentes à l’homme avec ses besoins, tels que les climats et les lieux les modifient, est l’élément dont il tire les beautés de l’art en les élevant jusqu’à l’expression la plus grandiose. Parmi les conditions du poème dont le nouvel ouvrage de Robert est comme le troisième chant, l’une des plus nécessaires est l’harmonie du site avec le caractère de la saison. Léopold Robert s’est fidèlement conformé à cette loi. Une plage grise et nue au milieu des mornes lagunes de Venise, est le lieu qu’il a choisi. Nous sommes ici déjà