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un ton trop rosé dans la partie du tableau qui reçoit la lumière, montre chez M. Aligny un progrès notable d’exécution. Les deux arbres de droite sont aussi bien conçus, aussi élégamment exécutés, que M. Boguet aurait pu le faire, il y a vingt-cinq ans, dans ses meilleurs dessins. Les rochers du premier plan, reflétés dans la demi-teinte, sont rendus avec une finesse et une précision merveilleuses : que M. Aligny applique ces qualités nouvelles de son pinceau à un ouvrage important, et l’on verra si le public pourra supporter encore les premiers plans, comme en fait l’école routinière, crépis au plâtre neuf, sur un fond de cirage à l’anglaise.

M. Aligny n’est pas le seul dont nous admirions les progrès : voici venir M. Bodinier, l’an passé imitateur timide et maniéré des peintres du Campo Santo, aujourd’hui plus harmonieux, plus complet que pas un des paysagistes du salon. On connaît le mérite singulier des peintres italiens du xive siècle dans le paysage : on sait quel effet produit l’emploi résolu des teintes plates qu’ils ont introduites dans les fonds de leurs fresques. En voyant, il y a quelques années, M. Aligny et les hommes de son école chercher la simplicité d’effet, on a qualifié leur tentative de singerie des peintres gothiques : ce reproche, tout-à-fait injuste à l’égard de M. Aligny, s’appliquait exactement au premier paysage de M. Bodinier ; les fonds découpés, les premiers plans secs et froids, les plantes maigres, parallèles et rangées comme dans les lignes d’une plate-bande, rendaient problématique à l’œil la direction noble et sérieuse des idées de M. Bodinier. Cette fois, les premiers plans n’ont pas encore toute la largeur de touche qu’on pourrait désirer : mais les fonds ont la plénitude et la solidité de la nature ; l’aspect du paysage unit la gravité de l’intention à la plus irréprochable vérité. Quant aux animaux et aux figures, ils sont admirables : le jeune pâtre, qui, couché par terre, dessine, comme Giotto, sur la face aplatie du rocher, ferait à lui seul un charmant tableau.

Ces plantes inflexibles des peintres gothiques dont je parlais tout à l’heure, m’amènent à citer la vieille Femme et le Mouton de M. Delaberge, bien qu’à tout prendre il vaille mieux abandonner ce jeune peintre aux réflexions que l’effet de son tableau doit lui inspirer. Après d’incroyables efforts dans la voie de l’imitation minutieuse, M. Delaberge en est venu à neutraliser ses qualités, de