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l’exactitude dont s’est piqué M. Bouchot. C’est là un mérite bien rare dans un temps comme le nôtre, où les artistes ironiques, Charlet et Decamps, occupent et méritent un rang si élevé.

J’ai déjà incidemment parlé de la Françoise de Rimini, de M. A. Scheffer, tableau que, dans mon opinion, il faut réunir aux trois précédens pour compléter la liste des bons ouvrages historiques de cette année. Le public fait tacitement un bien grand éloge de M. Scheffer, en ne tenant pas mieux compte à sa Françoise du mérite de la difficulté vaincue. La tâche n’était rien moins qu’aisée : les ténèbres visibles de l’enfer, et dans cet abîme un groupe de fantômes humains que le vent fait tournoyer en l’air comme un flocon de laine. Il fallait rendre vraisemblable à nos yeux la représentation d’une scène aussi étrange, et y faire entrer l’expression des affections humaines, l’amour résistant aux tourmens éternels dans Françoise et Paolo, la compassion d’un ami sur les traits de Dante. Quel problème à résoudre ! Et pourtant tout cela est si nettement exprimé, qu’il semble au spectateur qu’un enfant s’en serait tiré sans peine. Le tourbillon qui souffle dans les cheveux de Françoise et gonfle les plis de son linceul, présente obliquement aux regards le groupe des amans flagellés par la vengeance divine. Déjà ils ont dû glisser une fois devant Dante et son guide immobiles : ceux-ci les attendent au passage pour leur adresser la parole. Il semble qu’on va voir sortir des lèvres de Dante le cri plein d’affection :

O anime affannate,
Venite a noi parlar, s’altri nol niega !

Ce tableau est une belle conquête de l’Italie sur un de ses vieux antagonistes. M. Scheffer, le peintre né de ces beautés blondes et frêles qui inspiraient Shakspeare, s’est efforcé, dans une ombre il est vrai, de reproduire le caractère grave et plein de la beauté méridionale ; il a cherché dans Paolo la largeur des formes et la fierté du dessin. Le parti qu’a pris M. Scheffer de réformer sa manière non-seulement de peindre, mais encore d’envisager la peinture, est évidente à tous les yeux. Seulement, à chaque effort nouveau qu’il tente, la peine se fait un peu sentir, et ce n’est qu’à