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ANDRÉ.

à te dire : il faut qu’il te parle tout de suite, et tu en seras bien aise. Je vais le faire entrer.

— Non, Henriette, je ne le veux pas. Ne voyez-vous pas que je suis couchée ? et trouvez-vous qu’il soit convenable à une fille de recevoir ainsi la visite d’un homme ? Il est impossible que M. de Morand ait quelque chose de si pressé à me dire.

— Cela est certain, pourtant. Si tu le renvoies, il en sera désespéré, et toi-même tu t’en repentiras.

— Cette journée est un rêve, dit Geneviève d’un ton mélancolique, et je dois me résigner à tomber de surprise en surprise. Reste près de moi, Henriette ; je vais m’habiller et recevoir M. de Morand.

— Tu es trop faible pour te lever, ma chère : quand on est malade, on peut bien causer en bonnet de nuit avec son futur mari : vas-tu faire la prude ?

— Je consens à passer pour une prude, dit Geneviève avec fermeté ; mais je veux me lever.

En peu d’instans elle fut habillée, et passa dans son atelier. Henriette la fit asseoir sur le seul fauteuil qui décorât ce modeste appartement, l’enveloppa de son propre manteau, lui mit un tabouret sous les pieds, l’embrassa, et appela André. Geneviève ne comprenait rien à ses manières étranges et à ses affectations de solennité. Elle fut encore plus surprise lorsque André entra d’un air timide et irrésolu, la regarda tendrement sans rien dire, et, poussé par Henriette, finit par tomber à genoux devant elle.

— Qu’est-ce donc ? dit Geneviève embarrassée ; de quoi me demandez-vous pardon, monsieur le marquis ? vous n’avez aucun tort envers moi.

— Je suis le plus coupable des hommes, répondit André en tâchant de prendre sa main qu’elle retira doucement, et le plus malheureux, ajouta-t-il, si vous me refusez la permission de réparer mes crimes.

— Quels crimes avez-vous commis ? dit Geneviève avec une douceur un peu froide. Henriette, je crains bien que vous n’ayez fait ici quelque folie, et importuné M. de Morand des ridicules histoires de ce matin : s’il en est ainsi…