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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

son contour nerveux et arrêté ne le cède en précision qu’à son modelé : nul n’attaque avec plus de sûreté les raccourcis les plus difficiles, n’accuse plus nettement les parties essentielles de la construction, ne sait mieux faire tourner les corps sans rondeur, n’exprime mieux les plans accidentés d’une surface sans rompre l’unité d’aspect de cette surface. En ce genre, M. Forestier n’a jamais mieux fait que cette année ; son tableau est toute une école de peinture. Peut-être, le Possédé du même peintre, qu’on voit à la galerie du Luxembourg, renferme-t-il des parties aussi habilement étudiées : mais dans ce tableau, la nature du sujet fait dominer l’action, et j’ai dit que M. Forestier n’était pas heureux à exprimer l’action. Le sujet du bon Samaritain lui est beaucoup plus favorable : la principale figure du tableau est un blessé sans mouvement, et le vieillard qui le secourt n’exige pas, dans la simplicité de sa pose, une étude d’expression dont M. Forestier se serait probablement mal tiré. La figure du prêtre, qui passe son chemin sans prêter l’oreille aux gémissemens du blessé, offrait une difficulté du même genre, et M. Forestier est loin d’avoir évité cet écueil.

Pour rendre justice à ce peintre, et une justice aussi éclatante qu’il le mérite, il faut donc faire abstraction de la manière dont le sujet est conçu. Il faut oublier aussi que la couleur n’est pas heureuse, que les draperies sont lourdes et chiffonnées, que le paysage n’a ni atmosphère ni profondeur. M. Forestier a mieux fait que tout cela, il a résolu le grand problème de l’art ; il a donné à ses figures un relief qui le dispute presque à la nature. Sous ce rapport, M. Forestier rend à notre école un service essentiel, il la maintient à un diapason que celles des autres pays ont depuis longtemps perdu. Il n’est pas malaisé sans doute de remarquer les défauts graves du tableau de M. Forestier ; il l’est beaucoup plus à ceux qui ne se sont pas rendu compte des difficultés de la peinture et de son but, de se convaincre de cette vérité néanmoins incontestable qu’il n’y a pas d’artiste vivant en France et à plus forte raison en Europe, capable de modeler avec autant de vigueur et de science que M. Forestier.

J’ai commencé l’examen du salon par l’homme qui me paraît le plus énergique dans l’ordre matériel de la peinture ; c’est préci-