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DE L’ÉCOLE FRANÇAISE.

de parenté : or, c’est ce qui n’est exact ni dans l’un ni dans l’autre cas. Observez même une singulière confirmation de ce que nous avons dit des écoles françaises. C’est au retour d’Italie, tout plein de l’exemple des maîtres, que M. Ingres a ouvert son atelier. L’amour et la recherche du beau semblaient le drapeau obligé de cette école. Et voilà qu’au beau milieu des concours de l’Académie, après l’espoir donné par le prix de M. Flandrin, surgit une épidémie de laideurs, un je ne sais quel assemblage de monstres tortus et cagneux, escorté de préceptes qui se répandent, et qui disent que tout est beau, et par conséquent bon à prendre dans la nature ; les jeunes élèves de M. Ingres ne sont plus que des Ostade greffés sur du Raphaël. M. Ingres serait-il travaillé dans le sein même de son atelier par une maladie de révolte ? Qu’il doit souffrir, se disait-on, de cette gauche et grossière déviation de ses doctrines ! Et que serait-ce pourtant, si M. Ingres s’était laissé entraîner lui-même ? si les taches qui déparent son admirable tableau de saint Symphorien, provenaient de l’invasion de certaines idées dont ses précédens ouvrages ne laissent pas deviner la trace, et auxquelles peut-être il serait resté éternellement étranger, s’il eût continué de vivre dans un salutaire isolement.

M. Ingres est parti pour Rome ; il y a retrouvé ses plus habiles élèves. Revenu sans doute d’une préoccupation passagère, et puisant dans les maîtres une force de conviction que ses propres ouvrages n’imprimaient pas complètement à ses paroles, il peut donner à la France quelques artistes supérieurs. On est en droit d’espérer qu’il renouvellera le fait exceptionnel qu’a déjà produit l’école de David. On doit être convaincu qu’il empêchera la souche des dessinateurs de se sécher sur notre sol. Graces lui soient rendues, et pour ce qu’il a fait, et pour ce qu’il doit faire encore ! Mais, soyez-en convaincus, quel que soit le talent des élèves de M. Ingres, ils seront redevables de la moitié de leurs succès à l’esprit de sage indépendance qui s’est établi chez nous dans l’opinion. Aujourd’hui les préjugés n’existent plus dans le public ; pour en trouver encore les traces, il faut remonter haut dans l’échelle même des arts. Chose étrange pourtant ! l’homme doué d’une organisation originale, qui se sent en mesure de se frayer une route à lui-même, n’a presque rien à redouter de l’opinion. Sans doute,