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les ans n’ont pas la chance de rencontrer ! Je sais tout ce qu’on reproche à l’exposition annuelle, la multiplication indéfinie des tableaux, la précipitation des artistes, la tendance commerciale des arts : mais a-t-on le droit d’attribuer de tels résultats à une si petite cause ? Si le nombre des tableaux augmente dans une progression qui semble indéfinie, c’est qu’on en vend toujours davantage ; est-ce donc un mal qu’il se place beaucoup de tableaux, et n’y a-t-il que les mauvais qui se vendent ? On ne cite que les exemples fâcheux, les succès d’emprunt de certains portraitistes, la vogue passagère de certaines peintures, et l’on ne songe pas que jamais les hommes d’un vrai talent n’ont trouvé dans la société plus de ressource ; on ne réfléchit pas que tout ce qui, bon ou mauvais, établit de plus en plus les arts dans les mœurs, est une conquête pour leur prospérité.

Quant à la précipitation que mettent certains artistes à terminer les ouvrages qu’ils destinent au salon, il ne me semble pas que ce mal soit nouveau : en tout temps, nos peintres ont préféré le chemin du lièvre à celui de la tortue. Quand le salon ne s’ouvrait que tous les deux ou trois ans, j’en ai connu beaucoup, et des meilleurs, qui ne s’inquiétaient de leurs tableaux qu’un mois avant l’ouverture : j’en ai vu même qui ne pensaient à exposer qu’après la réussite de leurs rivaux. N’oubliez pas qu’alors le salon durait au moins six mois, pendant lesquels la physionomie de l’exposition se renouvelait trois fois de fond en comble ; pendant ces six mois, on expédiait plus de peinture qu’on ne l’avait fait durant les deux années précédentes. Le salon annuel nous a délivrés de ces paroxysmes de production : la sévérité avec laquelle on a maintenu la règle qui défend l’introduction de nouveaux ouvrages après l’ouverture, n’a pas produit de moins salutaires effets : aujourd’hui l’existence d’un artiste ne dépend pas d’un pair ou non dont la chance ne s’offrait que trois fois en dix ans. N’est-on pas prêt au jour marqué ? on se console par la pensée qu’une année de plus ramènera l’occasion de se produire. Le grand jour de la publicité fait-il voir qu’on s’est trompé de route ? À dix mois la revanche, et que tout soit dit ! Quant aux hommes qui, préoccupés d’un but sérieux, filent une toile plus lente, aux peintres d’histoire, aux statuaires, ils se garderont de moins en moins d’agir comme a fait cette année M.  Bru-