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la corporation privilégiée des mégissiers par les Autrichiens. On s’imagine qu’un écrivain aussi artiste va nous donner des tableaux étincelans de lumière, éblouissans de couleur, exubérans de poésie : nullement. En revanche, il suppute minutieusement l’emploi de son existence transplantée, dompte les fissures des monumens, analyse et sépare les teintes du paysage, non avec l’espèce de charme que présente encore une palette, mais comme le ferait le marchand de couleurs dans sa brutale indifférence. C’est une véritable lithographie allemande, où la magie de l’effet est perdue dans les détails, tous également traités avec une exactitude impitoyable. Pourtant on ne peut douter, au tourment qu’il éprouve, aux efforts qu’il fait, que le dieu de l’enthousiasme ne s’agite en lui. Mais j’ai grand’peur qu’il ne soit de ces êtres revêtus d’une écorce si dure, que les émotions les plus réelles et les plus vives sont impuissantes à s’y faire jour. Transporté à la vue de cette mer presque africaine, il ne peut trouver une image électrique pour nous communiquer ses tressaillemens. Il se contente de dire que cette mer est encore plus bleue que dans le golfe de Naples.

À la fin cependant, on se résigne, on s’habitue à cette manière, et l’on devine, sous la sécheresse des mots, la séduction vivante de ces merveilles méridionales, surtout dans les descriptions de la grotte des Due Fratelli, à Syracuse, et du lever du soleil vu du cratère de l’Etna. La peinture de Malte n’est pas non plus dépourvue d’intérêt. Et puis on doit penser que l’auteur a les qualités de ses défauts, et qu’on ne peut révoquer en doute son exactitude. Je prendrais, dans un voyage en Sicile, son livre pour guide, d’autant plus volontiers qu’il y a joint un énorme catalogue (cinquantes pages !) de tous les écrits généraux ou spéciaux qui ont rapport à la Sicile, sans oublier les voyages postérieurs au sien ; c’est là une belle et louable conscience germanique. Nos braves voisins sont toujours les bibliothécaires de l’Europe. C’est un mérite, mérite immense, que nous aimons à leur reconnaître, et que personne ne peut encore leur enlever.


Homer und Lykurg, etc. (Homère et Lycurgue, ou le siècle de l’Iliade et la tendance politique de cette poésie, etc.), par C. Heinecke, professeur au lycée de Wernigerode. 1 volume in-8o, Leipzig.

Le but de l’auteur est de prouver qu’on doit accorder toute confiance à l’opinion d’Hérodote au sujet de l’époque où vivait Homère. Partant de cette idée qu’il élargit et féconde avec toutes les ressources de la science, il entreprend d’établir, sans mettre précisément en doute l’existence d’Homère, que les noms des poètes de l’antiquité grecque n’étant que la traduction du caractère qui distingue chaque espèce de poésie, comme on peut facilement le voir dans ceux d’Orphée, d’Homère, d’Eschyle et de