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DE LA RÉFORME DE LA COMÉDIE.

le rire sur Louis xii et François Ier, pour traduire en un dialogue vivant et intelligible les joyeuses mazarinades, l’érudition et la poésie suffisent à grand’peine. Ce n’est pas tout de savoir, il faut enseigner à propos ; ce n’est pas tout de réveiller les ombres du coadjuteur et de Mme de Longueville, il faut que chacune de leurs paroles s’adresse à la foule aussi bien qu’aux studieux. Je ne crains pas de le dire, la comédie historique impose au poète une tâche bien autrement laborieuse que le drame historique ; je veux parler seulement de celui qu’on nous donne aujourd’hui. Pour évoquer les ridicules endormis depuis Pavie ou Marignan, la science héraldique ne sert de rien. L’étude indispensable et souveraine, c’est la vie privée et la vie publique du siècle qu’on veut ressusciter. Connaître Chambord, Fontainebleau et Versailles comme Brantôme, Bussy et Saint-Simon, voilà le but que le poète doit se proposer.

Que si, préparé par une laborieuse initiation, familiarisé avec les habitudes des personnages qu’il va peindre, l’inventeur choisit pour sa pensée un moule consacré, le moule de Molière ou de Beaumarchais, par exemple, n’espérez pas que le métal, en se figeant, offre aux yeux éblouis une statue complète et glorieuse. Non, le moule est usé ; il ne sait plus contenir sans éclater le bronze vomi par la fournaise.

Si l’imitation est dans tous les cas un travail stérile, l’imitation partielle n’échappe jamais au ridicule ; obliger les personnages de l’histoire à prendre le caractère d’Alceste ou d’Arnolphe, d’Elmire ou de Célimène, c’est un projet insensé, et qui ne mérite pas même d’être discuté. La forme littéraire est à la pensée ce que l’armure est au mouvement ; pour porter le haubert, la cotte de maille et l’épée à deux mains, il faut d’autres hommes que pour manier l’épée de nos jours. Eh bien ! pour prononcer le couplet de Molière, pour réciter sans fatigue et sans contrainte la période abondante et sentencieuse du Misanthrope, et de l’École des Femmes, il ne faut pas aller chercher les héros de la Fronde ou les courtisans de Richelieu.

S’il y a dans l’alexandrin de Molière des beautés éternelles, ce n’est pas une raison pour imposer à la réalité historique, dont il ne s’est jamais occupé, les habitudes d’un style inventé pour un autre