Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.
86
REVUE DES DEUX MONDES.

Ils ne peuvent espérer, dans une lutte des forces sociales, une fermentation favorable au développement des idées artistiques ; ils s’effraient de la tendance parcimonieuse, vulgaire et matérielle de certaines assemblées représentatives, et n’accordent pas que le public se chargera d’encourager l’art qui ne serait plus protégé par les rois. Ils redoutent surtout l’esprit d’imitation qui s’empare si facilement des masses, et la réaction prosaïque dont les symptômes éclatent dans maint état constitutionnel. Le système exclusif de l’utilité leur est particulièrement antipathique. Il y a quelque chose de vrai dans ces suppositions, et des motifs suffisans à ces terreurs d’ailleurs exagérées. Il est certain que, dans les temps de collision, l’on ne peut guère songer à l’ornement de la vie sociale et aux charmes des loisirs domestiques. Nous regrettons autant que tous les poètes royaux ensemble ces terribles catastrophes, et si nous étions capables de haine, nous la réserverions surtout pour les hommes qui rendent ces catastrophes inévitables. M. Hœring dit entre autres choses : « C’en serait fait de tout ce qui relève et anoblit la vie, de tout ce qui nous donne du courage pour vivre, s’il fallait attendre, pour penser aux belles et grandes choses, qu’on eût mis fin à toutes les misères de ce monde. » Il a parfaitement raison : le mal existe dans une telle proportion et de telle sorte, que nos efforts pour le détruire d’un côté ne servent trop souvent qu’à l’augmenter de l’autre. Nous ignorons pourquoi, et c’est la pierre d’achoppement de toutes les philosophies. Mais le sentiment de justice qui nous porte à atténuer le mal par tous les moyens qui sont à notre disposition, n’a dans la vie pratique rien de commun avec la renonciation au sentiment du grand et du beau. L’esprit d’amélioration libérale, c’est-à-dire l’esprit de justice dont le monde est présentement en travail, accomplira sa mission en recherchant tout ce qui peut contribuer au bonheur des hommes, et en se servant des moyens que le présent lui offre déjà. D’ailleurs, dans quelque position que se puisse trouver la race humaine, vers quelque but qu’elle soit entraînée, le réel ne suffira jamais à occuper toute son activité. Une surabondance d’ardeur reste dans chaque homme à employer hors de la sphère des besoins et des habitudes vulgaires ; surabondance de sève qui a créé l’art sous toutes ses formes, et qui suffira à le défrayer toujours. Que l’art subisse une transformation, qu’il se déplace, se subdivise, s’amoindrisse, s’éparpille pour se généraliser, qu’il aille à la foule comme il nous semble que c’est sa tendance actuelle, au lieu de se révéler avec un mystère dédaigneux à quelques rares organisations d’élite, il ne peut plus périr. Il peut, à certaines époques de la vie de l’humanité, disparaître un moment comme le fleuve qui bondit dans le lit étroit du précipice, et se perd sous des antres inexplorables ; mais vos yeux le retrouvent plus loin s’épandant