Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 1.djvu/730

Cette page a été validée par deux contributeurs.
726
REVUE DES DEUX MONDES.

volontiers pour une rouerie habile des directeurs ; car il est évident que l’audition de la veille avait, jeudi dernier, contribué d’une façon miraculeuse au noble succès de Faliero.

On sait notre sentiment sur Donizetti ; déjà nous avons eu l’occasion de l’émettre à propos d’Anna Bolena, composition délicieuse, la plus sereine qui soit éclose sur la terre, depuis que l’astre de Rossini s’est retiré du firmament. Donizetti est un homme d’un talent merveilleux ; son inspiration est toujours nette et limpide, son orchestre harmonieux sans affectation, correct sans pédantisme scholastique ; il n’a, selon nous, qu’un seul défaut, celui d’écrire avec une facilité sans exemple. Certes, l’opéra qu’il vient de donner ne manque pas d’une certaine élévation ; la mélodie en est ingénieuse et souvent expressive, le style grave et soutenu, et d’un mérite si réel, que l’on se prend à regretter qu’il n’ait pas mis plus de temps à l’écrire ; car alors il eût été plus sévère dans le choix de ses mélodies, et se serait, sans aucun doute, abstenu de certaines formules tant de fois répétées, et qu’un homme de sa taille ne doit plus employer aujourd’hui. Une fois pour toutes, il faut s’entendre sur les mots : écrire facilement n’est pas être fécond, car la fécondité réside, non pas dans le nombre des œuvres, mais bien dans leur seule valeur. Dante, en cinquante-sept ans, a fait la Divine Comédie, et nul jusqu’à présent n’a sérieusement accusé cette tête de stérilité. Paisiello et Cimarosa passent assez généralement pour des hommes féconds, parce qu’ils ont écrit, l’un Nina et le duo de l’Olympiade, l’autre le Mariage secret, car des trente opéras qu’ils ont composés chacun pendant leur vie, il n’en sera plus question désormais. La partition de Marino Faliero appartient toute entière à l’école de Rossini, et Donizetti n’a pris nul soin de s’en défendre. Il ne vient pas ici avec la prétention d’avoir inventé des systèmes nouveaux, découvert de nouvelles sources d’harmonie ; il n’a pas traversé l’espace sur les ailes de Mozart ou de Beethoven, cherchant quelques sphères sonores : il a tout simplement passé sa jeunesse en Italie, et chanté sous le ciel où Dieu l’avait fait naître. Aussi, dès les premières mesures, l’ame retrouve ses plus douces affections, et s’abandonne aux voluptueuses ondulations de ces rhythmes charmans, confiante et certaine que des tempêtes subites ne viendront pas la jeter tout à coup sur des rivages inconnus. En effet, ce sont bien là les formules qu’emploie ordinairement Rossini ; mais l’idée qu’elles enveloppent est heureuse et nouvelle. Donizetti emprunte à l’auteur de Sémiramis son moule puissant et fort, mais le métal qu’il y répand est pur et bien souvent tiré des profondeurs de son ame. Jusqu’à présent, Donizetti a trouvé moyen de conserver son individualité, et de ne pas s’absorber complètement dans le grand modèle qu’il avait sous les